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Projet de loi climat - comment être utile ?

Compléter le travail de la Convention Citoyenne pour le Climat

jeudi 10 décembre 2020, par André-Jean

Le projet de loi en préparation cet automne 2020 est « inspiré par les propositions de la convention citoyenne pour le climat », (CCC) [1] [2]. Celle-ci est née du mouvement des gilets jaunes et de leur rejet de l’augmentation des prix des carburants et combustibles fossiles. Comment la loi qui en sera issue peut-elle transcender son actualité contextuelle ?

Programmer la croissance du prix du carbone

La très grande majorité des économistes du monde entier affirme que le signal prix de l’émission de CO2 et de gaz à effet de serre équivalents (GES) est l’instrument le plus efficace pour atteindre les objectifs de décarbonation. Le plus efficace au sens où c’est celui qui demande le moins d’efforts à la société, sans préjuger de la façon dont sont répartis les efforts à consentir. La répartition quant à elle, dépend des politiques fiscales et sociales de la société. Ce constat partagé de l’efficacité du prix du carbone est ce qui a justifié en 2009, à la suite du Grenelle de l’environnement, les travaux et recommandations de la conférence des experts et de la table ronde sur la contribution Climat et Énergie [3]. C’est sur les conclusions de ces travaux que s’est fondé la position et les propositions de la Fondation Nicolas Hulot, puis du Ministre Nicolas Hulot avant sa démission du Gouvernement. C’est aussi ce que rappelle le rapport de France Stratégie de février 2019 sur « La valeur de l’action pour le climat ». Un prix du carbone, c’est enfin une condition pour Entreprise pour l’environnement dans son rapport ZEN-2050 publié en mai 2019 [4]. La CCC disposait donc de tous les éléments pour débattre de ce sujet.

La convention citoyenne pour le climat l’a-t-elle proposé ? Non !

Le projet de loi peut-il le faire ? Oui ! Notamment, à l’occasion de l’étude d’impact qui l’accompagne obligatoirement, et qui devrait rappeler l’impérieuse nécessité d’une étude coûts/avantage la plus rigoureuse possible pour toute proposition de politique publique. En l’occurence, un prix du carbone compatible avec les objectifs nationaux de réduction des émissions nationales est une nécessité. Également dans le corps du texte de loi en confirmant un calendrier d’évolution du niveau de la CCE [5] [6]. Le projet de loi devrait faire de ce prix du carbone une norme pour toutes des dépenses fiscales et budgétaires accordées au titre à la lutte contre le réchauffement du climat.

Compenser les conséquences pour les ménages et les acteurs en difficulté

Les travaux précédemment évoqués, et notamment la conférence des experts présidée par Michel Rocard en 2009 [7], précisent les mesures pour compenser les difficultés occasionnées à certains ménages à faible revenu et aux acteurs, entreprises en particulier, les plus fragiles par la croissance de la CCE. Les mesures en question n’auraient pas annihiler pour autant l’effet incitatif de la CCE. La CCC, consciente du motif de la protestation des gilets jaunes, aurait pu prendre la mesure de leur mobilisation en leur répondant. Elle aurait du se saisir de cette question et aurait pu reprendre à son compte en les adaptant les propositions déjà élaborées 10 ans plus tôt par la conférence Rocard.

La convention citoyenne pour le climat l’a-t-elle recommandé ? Non !

Le projet de loi peut-il le faire ? Oui ! Notamment, en précisant les critères d’attribution d’une aide budgétaire à la mobilité des ménages les plus modestes touchés par l’évolution croissante de la CCE.

Rappeler la prééminence de l’échelle européenne

Chacun peut s’en convaincre, avec environ 1 % des émissions de GES, les actions de réduction menées par la France seule n’ont et n’auront quasiment aucun effet sur le réchauffement climatique. C’est une des bonnes raisons pour rappeler que l’échelle pertinente est au moins européenne (autour de 10 % des émissions mondiales). D’autres bonnes raisons s’ajoutent : compétence principale de l’UE sur les questions environnementales pour éviter les distorsions de concurrence internes ; majorité des textes nationaux dérivent de la législation européenne en la matière ; normes sur les produits commercialisés au sein de l’UE. The Shift Project, avait pris cette échelle pour lancer en 2017 son « Manifeste pour décarboner l’Europe » [8].

La convention citoyenne pour le climat l’a-t-elle rappelé ? Non ! Parmi les 150 recommandations, l’une aborde indirectement le sujet avec un Ajustement carbone aux frontières de l’UE [9]. Il est surprenant qu’à cette occasion la CCC n’ai pas vu l’incompatibilité avec les règles de l’OMC qu’il y aurait à taxer aux frontières européennes un contenu carbone sans le taxer pour les productions internes à l’Union. Et ceci aurait du renvoyer aux considérations plus générales sur le prix du carbone (voir plus haut).

Le projet de loi peut-il aller plus loin et être plus précis ? Oui ! Dans l’étude d’impact, et dans les propositions du projet en formulant notamment des propositions les plus larges et les plus précises possibles pour étendre le système européen de quota d’émission EU ETS [10] en particulier pour lui permettre d’intégrer un éventuel Ajustement carbone aux frontières de l’UE.

Boucher le trou béant du rapport de la CCC

“L’énergie nucléaire représente 75% de la production d’électricité en France. Cette question est une question essentielle et ne pas l’aborder compromet l’analyse comme tout le reste du rapport de la Convention Climat” [11] . La CCC aurait pu souligner cette singularité nationale qui permet à notre pays d’être un des moins émetteurs de GES/hab en Europe. Elle aurait pu évoquer les sommes importantes issues de la CSPE [12] et de la TICPE qui subventionnent les énergies électriques intermittentes et non pilotables (éolien et photovoltaïque) sans aucune réduction des émissions de GES, au contraire. Elle aurait pu proposer que ces sommes d’argent public soient mieux investies dans la décarbonations des transports et des bâtiments. En bref, elle aurait pu mettre en évidence L’impossible "en même temps".

La convention citoyenne pour le climat l’a-t-elle suggéré ? Non !

Le projet de loi peut-il le faire ? Oui ! Dans l’étude d’impact, il pourrait reconnaître que la limitation de la génération nucléaire de l’électricité à 50 % est une erreur, que la Fermeture de Fessenheim est une bêtise insondable [13] et que la France a tous les moyens, les compétences, et l’expérience pour investir dans le nouveau nucléaire au même titre que la Grande Bretagne, la Chine, l’Inde, les USA et bien d’autres pays de façon à développer sa génération électrique décarbonée et peu coûteuse permettant de se substituer aux énergies fossiles encore très largement utilisées dans l’hexagone.

Reprendre certaines propositions de la CCC

Les manques pointés ci-dessus sont attribuables aux limitations du mandat donné à la Convention. L’exercice réalisé par les 150 citoyens tirés au sort a montré qu’un sujet vaste et complexe peut, malgré ses difficultés, être abordé par un panel de non spécialistes et donner lieu à des recommandations précises. C’est un message d’espoir et c’est un appel pressant à la formation la plus ample possible de tous les citoyens sur ces questions qui engagent notre avenir commun.

Le travail de la CCC serait-il inutile ? Nullement !

La loi peut-elle faire mieux ? Oui bien sûr ! Il appartient au gouvernement et au parlement de ne pas se cantonner à la seule reprise des 149 propositions de la CCC, mais de se saisir de l’ensemble des connaissances et des travaux accumulés depuis plus de vingt ans sur ces questions pour élaborer un texte efficace, ouvert et ambitieux.


[1Voir le site de la Convention ici

[4Pour une présentation de ces deux rapports, voir sur le présent site Au moins faudrait-il gouverner la terre !

[5CCE : contribution climat énergie qui est une partie de la TICPE, taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques

[6Le rapport Quinet de France Stratégie évoqué plus haut fournit des estimations des niveaux de prix du CO2e compatibles avec l’objectif de neutralité carbone de la France en 2050.

[7Conférence déjà évoquée en note plus haut.

[8Le Manifeste pour Décarboner l’Europe et les 9 propositions qui l’accompagnaient ici

[10Le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) est une pièce maîtresse de la politique de l’Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique et un outil essentiel pour réduire de manière économiquement avantageuse les émissions de gaz à effet de serre. Ce système est déjà étendu aux carburéacteurs pour l’aviation intra-européenne. Il pourrait l’être à l’ensemble des combustibles pétroliers et charbon produits et importés en Europe. Il pourrait alors servir pour imposer l’achat de quotas d’émission pour les importations en Europe de produits dont la fabrication est fortement émettrice de GES.

[12La contribution au service public de l’électricité (CSPE), voir sur le site du Ministère de l’économie et des finances ici et sur celui de la transition écologique ici

[13Voir l’article

Messages

  • Donner un prix au carbone, c’est ce que fait l’Allemagne, qui a annoncé plusieurs années à l’avance le montant, croissant d’année en année, de la taxe prélevée sur chaque litre de combustible fossile introduit sur le territoire allemand. Après ça, les industriels devront se débrouiller pour améliorer l’efficacité de leurs processus de production, faire des hypothèses sur les prix des produits semi-finis qu’elles achètent, augmenter leurs prix mais si possible moins que leurs concurrents...
    Et le plan climat allemand prévoit que la recette fiscale ainsi perçue sera utilisée pour amortir l’effet des augmentations sur les publics "les plus fragiles".

    A côté de cela, l’Allemagne continue de refuser le nucléaire* (l’AFD semble être le seul parti prêt à poser la question), a un plan (très coûteux) de fermeture des centrales à charbon, d’investissement dans l’éolien, le photovoltaïque et le réseau électrique, et... dans la recherche sur le stockage de l’électricité, pari sur lequel tout repose.
    (Le plan ne dit pas comment on écarte du marché allemand les produits faits à l’étranger, qui seront fatalement moins chers).

    L’autre option, c’est d’interdire, bien sûr. Les Verts allemands (Annalena Baerbock) le réaffirment aujourd’hui ; Novethic et B&L Evolution avaient publié en mars 2019 les interdictions nécessaires (vagues et sans les étayer), mais n’avaient pas chiffré le coût de l’état policier (un vrai état policier, celui-là), qu’il faudrait mettre en place.

    Ceci dit, l’enjeu pour la France, comme pour l’Allemagne, c’est d’être précurseur dans des technologies (y compris nucléaires) et organisations dont on doit espérer que tout le monde les adoptera. Car même l’Europe avec ses 10%,... bof.

    * Il y a un économiste allemand qui mériterait d’être connu ici, c’est Hans-Werner Sinn.

  • Il faudra bien qu’un jour la population prenne conscience du choix :
    1) vivre moins bien à cause de tickets de rationnement,
    2) vivre moins bien à cause de prix plus élevés,
    3) vivre moins bien à cause de la désertification (ça c’est l’option qui durera le moins longtemps ;-)) ).
    ... donc dans les trois options un énorme risque de chaos social.
    ... et rappelons que le problème est à 99% hors France (ou disons 98 ou même 97, allez, si on compte notre consommation de production délocalisée).

  • Le nucléaire a été "oublié" par les 150 citoyens... ?!
    Pourtant, ils ont vu J-M Jancovici qui leur a forcément démontré que le nucléaire était indispensable. Avec les chiffres, additions et règles de trois qu’on lui connaît. Et c’est peut-être le seul exposé qu’ils auront vu, avec des calculs simples mais justes, des % dont le total fait 100...
    Et ils ont "oublié".
    Est-ce parce que leur réflexion a été bien encadrée par des gens d’une autre tendance (tendance ? idéologie ? croyance (au sens donné par Etienne Klein) ?)
    Du coup ça jette une suspicion sur l’ensemble de leurs conclusions.

  • Tu évoques les Gilets Jaunes, avec l’interprétation qu’on entend dans les milieux écolos, où on aimerait bien, comme partout, voir ses théories confirmées.

    Si l’augmentation du prix des carburants a été l’étincelle, ce n’est pas elle qui a mis le feu à toute la plaine (là, je paraphrase Lénine). Il y a eu des forces extérieures pour souffler dans le sens qu’il fallait.

    Aparté hors sujet
    Ainsi, d’autres présentent le SARS-machin comme une vengeance de la nature ("la revanche du pangolin"). Je comprends qu’on utilise un événement à l’appui d’une thèse... dans les limites d’une causalité démontrable.
    L’histoire de l’humanité a été une succession d’épidémies (Tite-Live, qui a reconstitué l’histoire des sept premiers siècles de Rome, rapporte plusieurs épidémies dévastatrices alors que Rome n’était qu’une bourgade fortifiée, il y a 2500 ans (et en harmonie avec la nature !)).
    L’histoire du monde viral sera toujours un foisonnement de mutations, dont la catastrophe climatique elle-même n’aura pas raison...

  • Je reprends un échange qui s’est fait sur Linkedin ...

    2020-12-21 à 18h, Jean-Marc Moulinier
    L’accord de Paris a été pragmatique : il permet à chaque pays de déterminer sa politique climatique selon ses contraintes, ce qui évite la question des allocations initiales de droits ou de compensation pour rendre acceptable un prix unique du carbone. La contrepartie est qu’on a besoin d’une règle du jeu pour les échanges commerciaux ; croire que les différents pays vont converger vers notre politique climatique est une vue de l’esprit qui bloque les réflexions ; même à l’intérieur de l’UE, la politique climatique des états qui refusent le nucléaire ne sera pas la même que celles des pays qui l’acceptent ! Les premiers aurons besoin d’importer de l’énergie (Le secteur de la Chimie en Allemagne a annoncé avoir besoin de 600TWh d’énergie décarbonée importée (H2)) l’étude du DECHEMA sur la décarbonation de l’industrie chimique allemande, rédigé par FutureCamp (en Allemand) <https://dechema.de/dechema_media/Do...> et <https://www.vci.de/langfassungen/la...>

    2020-12-21 à 20h, Jean-Marc Moulinier
    André-Jean Guérin, Votre article associe l’utilité de la taxe carbone à la nécessité de compenser cette taxe pour la rendre acceptable. Puis vous insistez sur la nécessité de la dimension européenne. Les études qui ont suivi le rejet des hausses du prix du carburant ont montré la grande hétérogénéité des consommations d’énergie et des émissions de CO2, même si, globalement, elles croissent avec les revenus <http://carbonconsumptionsurvey.eu/i...> un thésard de MPSE Thomas Douenne a publié sur ce sujet : <https://www.cae-eco.fr/Les-effets-d...> On sait donc très difficilement compenser la taxe carbone à l’échelle d’un pays, mais on ne sait pas du tout le faire à l’intérieur de l’UE ! Il faut donc imaginer des taux de taxation différents d’un pays à l’autre ! Rien de nouveau : c’est déjà le cas avec les taxes sur les carburants.

    20201222 à 9h20, André-Jean Guérin
    Avec son rapport sur La valeur de l’action pour le climat, <https://www.strategie.gouv.fr/sites...> , présidé par Alain Quinet, France Stratégie n’a pas ignoré les dimensions européennes et internationales des questions liées au "prix du carbone". Ses recommandations n’en étaient pas moins destinées à la France. Quant à la prise en compte d’objectifs sociaux en parallèle d’une croissance du prix du carbone, la conférence Rocard de 2010, déjà mentionnée, avait proposé une solution robuste avec une "prime à la cuve" pour les ménages mis en difficulté par l’augmentation du prix du fuel domestique. Il serait aisé de transposer ce dispositif pour les ménages contraints financièrement par des obligations professionnelles de déplacement et qui n’ont aucun moyen d’échapper dans l’immédiat à des hausses de prix des carburants. Comme l’avait souligné Nicolas Hulot, la réaction des Gilets jaunes vient de l’absence volontaire de la compensation des effets de la hausse de la taxe carbone pour les ménages les plus démunis, au profit d’un objectif de recette fiscale accrue !

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