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L’énergie, affaire de qui ?
jeudi 23 avril 2015, par
L’énergie, moteur du progrès ?, dans son livre Paul Mathis s’attache à démentir que "L’énergie, c’est compliqué ! Cela concerne les spécialistes et les politiciens !".
Pour que la réponse soit positive, que le "progrès" continue à être souhaitable et que l’énergie nous aide dans le bon sens, il est impératif de garder la maîtrise du moteur, et de ne pas la sous-traiter aux seuls spécialistes de l’énergie aussi compétents soient-ils.
L’énergie, affaire de qui ? - Sommaire
- Qu’est ce que l’énergie ?
- Qu’apporte l’énergie ?
- Quel mal à continuer ?
- Quelles questions pour la démocratie ?
- Pour mieux prendre en compte le long terme
Qu’est ce que l’énergie ?
Peut-on, sans prétention, évoquer la signification du mot « énergie » avec des intéressés du sujet ?
Le mot « énergie » vient du latin energia : « force, énergie », lui-même du grec ἐνέργεια « force en action », dérivé de ergon « travail » de la même racine que organon [...] Ergon se rattache à une racine indo-européenne °erg « agir » qu’on retrouve dans les langues germaniques (anglais to work, allemand werken) [1]. Profondément ancré dans le langage courant, aujourd’hui, pour chacun, le mot « énergie » a une signification... et même souvent plusieurs : il désigne tout aussi bien la force que la puissance, la vigueur que l’élan, le dynamisme que la volonté… Le mot ayant toujours existé, chacun y accole sa notion comme une évidence partagée. Et voilà déjà une source de confusion. Elle n’est pas la seule.
L’emploi actuel du terme « énergie », même dans un contexte technique, même utilisé par des spécialistes, y compris par des spécialistes de l’énergie, n’aide pas à clarifier la notion et à lui attacher les connaissances maintenant acquises. Ainsi par exemple, tout un chacun, mais également le ministère en charge de l’énergie, les services spécialisés, les acteurs économiques et sociaux, nous-même dans la suite de cet article, employons-nous les expressions « production d’énergie », « consommation d’énergie ». Or on sait aujourd’hui qu’il n’y a jamais ni création, ni disparition d’énergie.
Le concept d’énergie a été profondément remanié à l’époque moderne. C’est l’un des plus abstraits et des plus multiformes de la science. Son élaboration, particulièrement longue et tortueuse, a fait intervenir d’intéressants allers et retours entre sciences et techniques [2]. Ainsi, selon la compréhension établie depuis un siècle et demi, il n’y a jamais fabrication ou destruction d’énergie, mais uniquement transformation d’une forme d’énergie en une autre. La représentation scientifique de l’Univers fait même du principe de conservation de l’énergie, l’un des plus essentiels. Avec celui d’une évolution systématique de l’énergie d’un système fermé vers ses formes les plus désordonnées et inutilisables, ces deux principes fondent la thermodynamique à laquelle tous les systèmes physiques, c’est à dire tous les systèmes existants, obéissent dans leur évolution. Dans son ouvrage Thermodynamique de l’évolution : Un essai de thermo-bio-sociologie, François Roddier, physicien et astronome, explicite comment ces lois ont permis et contraint toute l’évolution de l’Univers et plus particulièrement de la vie sur terre. Il souligne en quoi elles ont accompagné le développement de l’humanité et comment, par les limites qu’elles imposent, elles contribuent aux crises que cette dernière doit traverser actuellement.
La maxime « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » attribuée à Lavoisier à propos des corps chimiques, reformulée d’une phrase du philosophe grec Anaxagore [3] : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau » [4] doit donc être entendue aussi pour l’énergie. En se transformant, l’énergie transforme le monde. La notion de transformation est d’autant plus appropriée pour l’énergie que celle-ci désigne précisément une capacité à agir quels qu’en soient les modes : mettre en mouvement, chauffer, comprimer, éclairer, sonoriser, transmettre une information, etc. [5] L’énergie est l’agent d’action sur le monde.
Qu’apporte l’énergie ?
Pour retrouver ses utilisations courantes, il faut alors qualifier le terme « énergie » : énergie mécanique, chimique, lumineuse, électrique, nucléaire, potentielle, libre, calorifique, etc. Toutes ces formes d’énergie peuvent passer de l’une à l’autre avec des rendements plus ou moins grands, mais évidemment toujours inférieur à 1, la différence se dégradant en chaleur. Dans son article Qu’est-ce que l’énergie, exactement ?, Jean-Marc Jancovici donne des exemples de ces transformations et des actions qu’elles permettent.
La quantification concrète de ce qu’apporte l’énergie demande une autre image. Elle nous est donnée sous la forme de l’esclave énergétique : l’équivalent du travail mécanique que peut fournir un homme en bonne santé [6]. Le terme utilisé pour la première fois par R. Buckminster Fuller en février 1940 pour le Magazine. Alfred Ubbelohde a aussi inventé l’expression de façon apparemment indépendante en 1955 pour son livre "Man and Energy". Mais le terme n’est devenu d’usage courant qu’à partir des années 1960 [7]. En France, Jean-Marc Jancovici a repris cette formule et en a donné des illustrations à partir de 2005 dans : Combien suis-je un esclavagiste ?. Avec Alain Grandjean, dans Le Plein s’il vous plait, ils explicitent comment, aujourd’hui, des machines de toutes sortes – presque toutes mues par des énergies fossiles – accomplissent le travail que réalisaient auparavant esclaves ou serviteurs. Ces esclaves énergétiques font à présent notre lessive, cuisinent à notre place, nous transportent à l’autre bout du monde, nous divertissent, et font pour nous la majeure partie des travaux pénibles nécessaires à notre survie ou à notre confort. Combien sont-ils ? L’esclave énergétique dégage moins de 900 kWh/an en chaleur (produite à partir de l’énergie chimique des aliments) et il n’en fournit même pas le dixième en énergie mécanique. Jean-Marc Jancovici calcule alors que la consommation d’énergie en France représente environ 400 esclaves énergétique pour chacun de ses habitants.
L’équivalent de 400 esclaves par citoyen français, 400 esclaves qui ne protestent ni ne contestent, nous pouvons nous dispenser d’esclaves humains ! Dans son livre remarquable sur Or noir, La grande histoire du pétrole, Matthieu Auzanneau évoque la multiplication Des esclaves énergétiques apportée par le pétrole [8]. Je ne saurais mieux dire que lui :
« Avant l’ère industrielle, plus des trois quarts de l’humanité vivaient, d’une manière ou d’une autre, dans un état d’asservissement physique au travail. La notion d’"humanisme", présentée à tort comme remontant à la Renaissance, est une invention du XIXe siècle, et même de la fin du XIXe siècle, insiste Michel Foucault [...]. Jusque-là, l’esclavage, le servage, le métayage et les autres formes d’assujettissement plus ou moins complet étaient presque partout des réalités banales. Cette omniprésence peut être interprétée tout autant comme le fait d’un angle mort éthique que comme la conséquence d’une contrainte pratique, physique. Cette contrainte, ce sont les limites des possibilités techniques d’accès aux flux d’énergies renouvelables qui dérivent de l’énergie du soleil (le cycle de l’eau, le vent, la photosynthèse, la force animale).
L’accès aux stocks titanesques d’énergie solaire que constituent les combustibles fossiles, ceux de charbon puis ceux d’hydrocarbures, bouleverse l’équation. Aux États-Unis, la signification historique de la victoire du Nord industriel et abolitionniste sur la société sudiste, agreste et esclavagiste dépasse sans doute de beaucoup le seul domaine de la morale et de la politique. « L’apparition de la machine à vapeur fut probablement une condition nécessaire à l’abolition de l’esclavage [9] », soutient l’historien français Jean-François Mouhot. Un tel lien hypothétique ne serait pas celui d’une implication stricte, mais plutôt celui d’une concomitance symbolique n’ayant peut-être rien de fortuit : des États-Unis à la Russie (où le servage est aboli en 1861), l’apparition de machines puissantes a-t-elle dissipé la nécessité jusque-là indiscutable de l’esclavage, a-t-elle donné l’opportunité d’ouvrir les yeux sur son scandale immémorial ? L’évolution des grands systèmes fonctionnels éclaire des chemins, ouvre ou referme les portes, là où les hommes se complaisent à croire que la force de l’esprit est le seul passe-muraille. »
How Dependent is Growth from Primary Energy ?, Gaël GIRAUD et Zeynep KAHRAMAN [10] se sont penché sur la dépendance de la croissance économique à l’énergie. Leurs travaux suggèrent que cette dépendance est plus importante que l’étalonnage habituel de l’élasticité par rapport à l’énergie ne le laisse entendre. Ils confirment en outre la cointégration et le lien de causalité entre la consommation énergétique et la croissance affirmées par Stern en 2010.
L’humanisme et les démocraties actuelles émergent avec l’accès massif à l’énergie : un véritable bienfait. La croissance économique se nourrit de l’énergie. Ne suffit-il pas de poursuivre ? Et, de le faire de la façon la plus efficace en confiant la chose à des spécialistes ?
Quel mal à continuer ?
« Le communisme, c’est les Soviets plus l’électricité. » avait déclaré Lénine dans son discours au 8e Congrès des Soviets, en 1919. On a vu où peut conduire une telle délégation de responsabilité sur des questions essentielles. Encore, le régime soviétique a-t-il bénéficié d’une phase de croissance continue de la disponibilité en énergie. Qu’en aurait-il été dans une évolution inverse ?
Or la question se pose aujourd’hui : pourrons-nous continuer indéfiniment à disposer de ressources énergétiques abondantes et facilement accessibles ?
L’évidence s’impose. Près de 82 % des utilisations énergétiques de l’humanité proviennent de la combustion de ressources fossiles (Charbon, pétrole, gaz naturel) [11], c’est à dire d’énergie solaire captée par les être vivants, séquestrée dans les sédiments marins, transformées dans les couches géologiques profondes, pendant des centaines de millions d’années. Il s’agit donc d’un stock. Son exploitation aura une fin, d’autant plus rapide que son utilisation s’accroîtra. Si cette limitation ne semble pas encore s’imposer au plan mondial, en revanche, elle se manifeste dès à présent pour le continent européen.

Si la pénurie en énergie fossile n’est pas d’actualité au plan mondial, malheureusement pour le climat comme nous allons le revoir, en revanche, c’est une réalité dès à présent pour le continent européen et en particulier pour la France qui a épuisé ses réserves de charbon, de pétrole et de gaz. La disponibilité en énergie par habitant européen a déjà commencé à baisser. Les travaux de Gaël GIRAUD et Zeynep KAHRAMAN, évoqués plus haut, apportent un éclairage sur la stagnation économique de notre continent depuis une décennie. En outre, nos besoins massifs en énergies fossiles placent nos pays dans une dépendance stratégique dont on perçoit bien la menace à l’heure de la guerre en Ukraine et du chaos au proche Orient.
Une autre contrainte toutefois s’impose plus précocement. Les changements climatiques induits par les émissions dans l’atmosphère des gaz à effet de serre et en particulier du gaz carbonique (CO2) rejeté avec la combustion des ressources fossiles, menacent de dégrader, voire de compromettre, les conditions de la vie humaine sur la Terre. Les Questions de climat mobilisent en 2015 la communauté internationale pour tenter de contenir les effets néfastes notre boulimie d’énergies d’origine fossile. Enseignement de l’histoire, Jean-François Mouhot dans son ouvrage déjà cité, Des esclaves énergétiques : réflexions sur le changement climatique, explicite comment les méthodes utilisées par les abolitionnistes pour parvenir à faire interdire la traite et l’esclavage peuvent encore inspirer aujourd’hui l’action politique pour décarboner la société.
« La souffrance engendrée par notre dépendance aux énergies fossiles est bien sûr éloignée (géographiquement et chronologiquement), et involontaire. La nature du mal dans ce cas semble à première vue fondamentalement différente de celle de l’esclavage. Les conséquences imprévues de la combustion massive des énergies fossiles sont seulement pleinement comprises depuis peu de temps. Mais à présent que nous sommes conscients des effets néfastes de la combustion des carburants fossiles, et que nous continuons, globalement, à accroître nos émissions, pour combien de temps encore pouvons-nous prétendre que les conséquences sont "involontaires" ? Au XVIIIe siècle les consommateurs du sucre produit dans les Antilles, ou encore les planteurs qui résidaient en métropole et laissaient l’exploitation de leurs propriétés à des gérants profitaient également de l’esclavage sans être en contact direct avec ceux qui faisaient fructifier leurs terres. Il ne paraît pas aberrant de dire que ces personnes commettaient une transgression morale comparable à celle commise par ceux qui jouissent aujourd’hui des bienfaits des énergies fossiles, tout en sachant que d’autres pâtissent et pâtiront encore davantage demain de notre mode de vie. » [12]
Les changements climatiques font peser une lourde hypothèque sur ce siècle et les suivants. Ils ne sont pas les seuls. L’érosion de la diversité biologique, l’acidification des océans, la réduction des ressources en eau douce, la perte de sols arables, la déforestation, la désertification, la diffusion à grande échelle de corps et molécules chimiques toxiques à longue durée de vie, la sécurité alimentaire, sont autant de préoccupations majeures pour les générations actuelles et à venir. La plupart ont un lien, plus ou moins direct avec la première. Ainsi en est-il notamment de la dernière.
13 milliards de tonnes d’équivalent pétrole [13] , c’est l’énergie que l’humanité a mobilisé en 2012 [14]. Dans le même temps, la valeur énergétique de la biomasse exploitée par les hommes représente environ 5 milliards de tep. Nous sommes dans les mêmes ordres de grandeur ce qui, dans le monde, en Europe comme en France, donne à la biomasse de loin la première place comme énergie renouvelable. Qu’en sera-t-il demain ? Pourra-t-on aller plus loin dans la production et l’exploitation de la biomasse ? Comment demain s’articuleront les enjeux de sécurité alimentaire et de fourniture d’une ressource énergétique moins émettrice de CO2 ? « [Aurons-nous à manger demain ?] » est une question sérieuse. Elle doit rester dans le débat public et dans le champ de la décision politique.
Quelles questions pour la démocratie ?
Nombreuses sont les questions que la disponibilité en énergie pose au développement de la démocratie et plus largement à l’extension de l’humanisme. Déjà mentionné, l’ouvrage de Matthieu AUZANEAU, L’Or Noir - la grande histoire du pétrole, expose les liens pour le moins contrastées nouées par les acteurs de la principale énergie du XXe siècle avec la démocratie en général et ses émergences particulières dans différents États.
Plus près de nous et de façon actuelle, il faut signaler le remarquable Rapport sur les tarifs de l’électricité. La rapporteur, la députée Mme Clotilde VALTER, l’a déposé le 5 mars 2015. Il montre à la fois que l’évolution du système énergétique de l’électricité se joue dans le long terme, que les facilités politiques dans les choix de gestion et d’investissements d’une période coûtent cher pendant longtemps aux consommateurs et usagers. La structure et l’organisation technique du système ont des répercutions nécessaires sur la forme et les modalités des tarifications [15]. Par là, elles intéressent des sujets politiquement aussi sensibles que l’accès égal au service public, la solidarité entre utilisateurs, l’extension de la décentralisation ou l’autoconsommation d’électricité [16]. Comment mieux illustrer que les questions énergétiques ne peuvent pas être sous-traitées aux seuls spécialistes des énergies ?
En complément du rapport, plusieurs groupes politiques, dans leur contribution, regrettent que l’examen du projet de loi sur la transition énergétique n’ait pas pu bénéficié de ses enseignements. Oui, les systèmes énergétiques sont des ensembles complexes. Un travail approfondi de compréhension par le public est nécessaire pour partager des décisions qui structureront les évolutions de long terme.
Le long terme, qu’est-ce donc ? C’est quelques décennies et souvent le siècle :
- Systèmes et investissements énergétiques : mines de charbon, puits de pétrole ou de gaz, transports, raffineries et industrie de transformation des produits pétroliers, gaziers, charbonniers, centrales thermiques à combustibles fossiles, centrales nucléaires, énergies renouvelables, réseaux de transport et de distribution électriques, gazière ou de produits pétroliers, etc. ;
- Efficacité énergétique des bâtiments, des systèmes de transport, des processus industriels ;
- Changements climatiques et leurs conséquences sur la température moyenne, la fréquence des évènements exceptionnels, la fonte des glaces, le changement des régimes hydriques, la montée des eaux marines, etc. ;
- Évolution des grands écosystèmes planétaires, mais aussi de la répartition espaces naturels et forestiers — terres agricoles et pâturages — surfaces artificialisées, en Europe ou en France

Les investissements pour une transition énergétique et climatique sont estimés à 1 000 milliards de dollars par an, soit 2 % du PIB par Nicolas Stern, ce qui, selon les travaux de l’économiste britannique ne devrait pas conduire à renoncer à la croissance. Ces investissements concernent tant des infrastructures que les bâtiments et les industriels. Ils impliquent tous les acteurs. Et les mêmes types d’investissements doivent être réalisés pendant des décennies. Comment élaborer des politiques publiques qui incitent tous les acteurs à agir de façon convergente ? Comment maintenir de telles politiques publiques dans la durée ? Comment éviter que d’autres objectifs politiques légitimes ne viennent effacer, réduire ou perturber les objectifs de long terme ?

Michel Derdevet, dans un article du journal Libération de 2012 [17] appelle à inventer une démocratie énergétique. Observant les débats dans notre pays et les difficultés à opérer des choix en matière énergétique, il s’interroge : « Et si ces blocages, ces « stop & go », ces hésitations traduisaient d’abord les mutations profondes de notre système démocratique, dont l’énergie est à la fois le moteur et l’objet ? »
« Les projets énergétiques de demain, affirme-t-il, ne peuvent plus venir simplement d’en haut. L’avenir est plutôt à l’imagination, aux initiatives multiples et variées venant des territoires, à une révolution digne de l’Internet dans laquelle le citoyen/consommateur sera systématiquement partie prenante des choix de production et des modes d’une consommation plus sobre. » Oui, modifier les comportements et les modes de consommation demande que chacun s’implique dans la transition énergétique. S’agit-il pour autant de ce qu’on pourrait appeler une démocratie énergétique ? Michel Derdevet s’interroge à nouveau : « Quelle est la bonne méthode, référendum, avec toutes les limites que le choix de la question posée induit, ou grand débat national ou régional ? »
Avec Petrocratia, l’essai de Timothy Mitchell [18], on comprends que les liens entre ressources énergétiques et formes démocratiques ont profondément partie liée [19]. Les propriétés physiques respectives du charbon et du pétrole ont facilité la naissance des démocraties sociales modernes et l’impérialisme colonial et néo-colonial. Sous l’analyse de Timothy Mitchell, la modernité apparaît comme une « démocratie carbone ». Mitchell apporte une réflexion supplémentaire : « Comment la machine politique conçue pour gouverner à l’ère des combustibles fossiles pourrait-elle survivre à leur disparition ? » Il nous oblige à nous interroger sur la solidité de notre organisation politique.
La question n’est pas anodine. Comment résister à la pression que les détenteurs de capitaux ne manqueront pas d’exercer sur les pouvoirs publics, sur l’opinion et les responsables politiques. 28 000 milliards de dollars : c’est chez Kepler Cheuvreux l’estimation du montant des pertes qu’infligerait aux acteurs des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) dans les deux décennies qui viennent, un accord international permettant de limiter réellement le réchauffement à +2°C [20] [21]. A ce niveau d’enjeu financier, quelle information stratégique peut encore échapper aux joueurs de poker ? Le secrétaire d’État à l’énergie britannique peut avertir : Fossil fuel investing a risk to pension funds, says Ed Davey. Et le FRR, le Fonds de réserve des retraites, peut se faire épingler sur Comment « décarboner » l’économie ?. Quelle démocratie peut-elle se maintenir dans le brouillard ?
TUED, Trade Unions for Energy Democracy, est une initiative mondiale de syndicats de différents secteurs pour aller vers une direction démocratique et un contrôle de l’énergie dans le but de promouvoir des solutions à la crise climatique, à la précarité énergétique, à la dégradation des populations et territoires et pour répondre aux attaques contre la protection et le droit des travailleurs. L’un des partenaires de ce regroupement, l’Internationale des services publics soutient qu’un tel contrôle démocratique doit se faire par la voie de l’intervention de services publics dans le domaine de l’énergie. « “Public subsidies for private profits are not a solution,” says David Boys, PSI Deputy General Secretary. » L’expérience française des 60 dernières années ne va-t-elle pas en sens contraire avec une privatisation croissante du secteur de l’énergie ?
Dans un tel contexte, faut-il s’étonner que le débat autour des questions d’énergie reste brouillé, notamment dans notre pays, que la difficulté du sujet encourage davantage les clivages idéologiques que les efforts pour expliciter les enjeux et les conséquences des diverses alternatives ? Comment comprendre l’annonce par Bernard Laponche, un scientifique averti, d’une Forte probabilité d’accident nucléaire majeur en Europe ? À l’inverse, comment ne pas entendre la suggestion de Denis Bonnelle de développer une Électricité solaire massive ? Les groupes parlementaires qui commentent le rapport Valter n’ont-ils pas raison : un Projet de loi, pour quelle énergie ?
Pour mieux prendre en compte le long terme
En France, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme fait de la question de l’adaptation de nos organisations et institutions démocratiques aux enjeux de long terme un sujet central de ses préoccupations. Ainsi :
- Pour un pacte écologique propose de mettre l’environnement au cœur de l’État avec un vice-Premier ministre chargé du développement durable ;
- La FNH a contribué à l’exercice de prospective de France Stratégie : Quelle France dans 10 ans ? ;
- « POUR UNE 6E RÉPUBLIQUE ÉCOLOGIQUE » : ALLIER DÉMOCRATIE ET ÉCOLOGIE, développe cinq axes de travail prospectifs pour une refondation écologique et solidaire de nos sociétés : de nouveaux indicateurs ; un basculement des régulations vers la préservation de la nature et non vers sa destruction ; régulation du commerce mondial ; financement du long terme ; démocratie écologique par une réforme de nos institutions démocratiques ;
- Concernant les indicateurs, les délégués de la FNH soutiennent l’initiative prise par le CESE d’établir, avec France Stratégie un tableau de bord d’indicateur complémentaires du PIB ;
- Des propositions pour une évolution du CESE vers une assemblée du long terme seront rendues publiques en vue de la prochaine mandature.
Au plan international et concernant l’objectif du climat fortement lié à celui des sources d’énergie, Nicolas Hulot œuvre auprès du Président de la République sur Comment bâtir un futur climatique ? lors de la COP21 à Paris fin 2015.
[1] Le Robert - Dictionnaire historique de la langue française - "Energie"
[3] Wikipédia : Anaxagore, né vers 500 et mort en 428 av. J.-C., dit de Clazomènes en Ionie (près d’Izmir, en Turquie actuelle), était un philosophe présocratique.
[6] Pour ce qui est des unités d’énergie, voir Aurons-nous à manger demain ? — Production de biomasse végétale
[8] Or noir, La grande histoire du pétrole, p. 80-82
[9] Jean-François Mouhot, Des esclaves énergétiques : réflexions sur le changement climatique
[10] Gaël Giraud est économiste, Directeur de recherches CNRS, membre du Centre d’Economie de la Sorbonne, du LabEx REFI (Régulation Financière) et de l’Ecole d’Economie de Paris. Il est depuis 2015, chef économiste de l’Agence française de développement AFD. Zeynep KAHRAMAN est économiste diplômée de la Toulouse School of Economics. Elle est , Zeynep Kahraman Chef de Projet depuis 2011 à The Shift Project
[12] Et nos enfants nous appelleront "barbares", Le Monde.fr | 28.11.2011 à 10h16 | Par Jean-François Mouhot, historien, chargé de recherches à l’Université de Georgetown
[13] tep : tonne d’équivalent pétrole. Pour ce qui est des unités d’énergie, voir Aurons-nous à manger demain ? — Production de biomasse végétale
[14] AIE
[15] Sur ce sujet voire aussi : Au robinet, que devrait-on payer, l’eau ou sa disponibilité ?
[16] Le rapport Valter, dans sa proposition n° 6, suggère notamment de « Définir un cadre fiscal adapté à l’autoconsommation »
[18] Timothy Mitchell, politiste et historien spécialiste du Proche-Orient à l’université de Columbia
[20] Un chiffre avancé lors de la conférence intitulée « Investir pour décarboner l’économie » organisée par The Shift Project, Quattrolibri et la Revue Banque le 13 février 2015 à Paris [http://theshiftproject.org/fr/cet-article/bulle-carbone-enjeux-solutions-strategies-dinvestissement].
Messages
1. L’énergie, affaire de qui ? , 5 novembre 2015, 17:37, par Pierre Campergue
Monsieur Guérin bonjour,
Bien sûr que l’énergie est le moteur de l’évolution économique, du progrès (comme le titre Paul Mathis). Je n’en veux pour preuve irréfutable que le petit raisonnement suivant :
1. supposons qu’un produit (objet, marchandise, …) quelconque soit fabriqué en 8 heures à un coût horaire de 30 €. Son prix sera alors de 240 €.
2. supposons que le temps de fabrication diminue à 6 heures pour une raison quelconque. Son prix diminuera à 180 €.
Mais les lois de la physique nous enseignent que plus la vitesse est élevée, plus la quantité d’énergie nécessaire est importante (1/2 mv2). Donc, plus il existe de travail inclus dans un produit, moins il est onéreux, ce qui induit un déséquilibre de plus en plus accentué entre la quantité de travail qui circule du fournisseur au consommateur et la quantité de monnaie qui circule en sens inverse du consommateur au fournisseur.
Cependant, le consommateur garde par devers lui une quantité de monnaie égale à la diminution de prix. Alors, par principe, il est autorisé de postuler que :
LE TRAVAIL SUPPLEMENTAIRE EFFECTUE PAR LE FOURNISSEUR EST TRANSFORME EN MONNAIE SUPPLEMENTAIRE DETENUE PAR LE CONSOMMATEUR,
et :
LA MONNAIE NE DOIT PAS ETRE CONSIDEREE COMME CELLE CIRCULANT DU CONSOMMATEUR AU FOURNISSEUR, MAIS COMME CELLE QUE LE CONSOMMATEUR DETIENT EN SUS APRES UNE BAISSE DE PRIX.
Le travail exercé par le fournisseur est défini, bien évidemment, comme la somme de son propre travail, de celui des esclaves, des animaux, des salariés, des moteurs et des machines, sachant que depuis la révolution industrielle ce sont les moteurs et les machines qui en fournissent l’essentiel ; cette énergie mécanique (travail) provenant de la transformation de l’énergie thermique (transformation chaleur-travail).
Nous sommes donc en présence de deux transformations consécutives, à savoir :
1. une transformation physique : chaleur-travail,
2. une transformation économique : travail-monnaie.
Or, rien n’interdit d’appréhender cette dernière transformation de la même manière que la première bien connue, sous réserve que seuls la méthodologie, le formalisme, le raisonnement soient similaires et que les caractéristiques, variables et fonctions soient différentes. C’est donc la quasi gratuité de l’énergie par rapport au coût de la main d’œuvre qui infère la disponibilité profuse d’énergie : ce qui a permis la baisse des prix et l’accroissement de la richesse des consommateurs et donc de la société en général.
Il existe alors obligatoirement, au moins, une relation entre la monnaie et la chaleur, c’est-à-dire entre l’énergie consommée (essentiellement des combustibles fossiles avec les incidences environnementales que nous connaissons) et l’enrichissement de la société.
Je vous remercie de l’attention que vous voudrez bien porter à ce message.
Bien à vous.
Pierre Campergue
1. L’énergie, affaire de qui ? , 19 novembre 2015, 09:58, par André-Jean
Bonjour Monsieur,
Milles excuses pour avoir trainer avant de regarder mon site et le message que vous y avez déposé. Votre contribution me paraît ouvrir des pistes de réflexion, mais je n’ai pas de point de vue personnel en première réaction. J’espère qu’il ouvrira un débat.
Bien cordialement.