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La Chine, réveil d’une puissance

mardi 7 avril 2015, par André-Jean

« Laissez donc la Chine dormir, car lorsque la Chine s’éveillera le monde entier tremblera. » Tout le monde connaît cette prédiction prononcée, dit-on, par Napoléon en 1816 : peu importe que personne n’en ait trouvé trace dans ses écrits, elle traduit une inquiétude sourde et toujours renouvelée que le XIXe siècle ne craindra pas d’appeler « péril jaune » et qui redevient aujourd’hui d’actualité, sous la forme d’une nouvelle invasion, celle des tee-shirts et autres robes de coton, en attendant la suite. Forte d’une population qui représente le quart de l’humanité, soumise à un mystérieux régime mi-communiste mi-capitaliste, ouverte désormais au grand commerce international, la Chine fait peur. [1]
La phrase aura été reprise avec le titre d’un ouvrage d’Alain Peyrefite publié en juillet 1973, carnet d’un voyage effectué l’été 1971 au beau milieu de la révolution culturelle.
Et si elle est loin de faire peur à tous, au moins la Chine retient-elle l’attention et la curiosité. Avant d’aller voir sur place du 7 au 17 mai 2015, voici grappillés, quelques éléments sur les aspects économiques, sociaux et environnementaux, de ce grand pays … Chine du 7-17 mai 2015

La Chine, réveil d’une puissance — Sommaire

Les femmes et hommes : la population chinoise

Commençons par la mesure de toute chose : la démographie. Au fil des siècles historiques, la population chinoise connait de fortes variations. Et encore davantage si on regarde la part de la population mondiale qu’elle représente : 12 % avec 19 Mh [2] en -400 avant notre ère ; 28 % avec 70 Mh en l’an 0 ; 12 % et 25 Mh en +400 ; 35 % et 330 Mh en 1800 et jusqu’à 410 en 1839 ; puis 21 % et 1 294 Mh en 2000.

Si la croissance de très long terme de la population chinoise est conforme à celle du monde, en revanche des évolutions très contrastées apparaissent au cours des siècles historiques. Les historiens doivent pouvoir nous apporter des enseignements passionnants. Les XVII et XVIIIe siècles ont vu une forte dynamique de la population chinoise. Elle est passé de moins de 20 % à plus de 35 % de la population mondiale. On comprend la phrase attribuée à Napoléon !
Que se passe-t-il ensuite ? Crise économique et sociale importante ? Montée en puissance de la corruption ? Excès de la centralisation ? Déséquilibres économiques engendrés par la concurrence défavorable entre l’économie chinoise fondée sur la monnaie argent et l’économie mondiale fondée sur la monnaie or contrôlée par les Occidentaux et en particulier les Britanniques ? Effets délétères des introductions massives de l’opium par des circuits mafieux alimentés par les britanniques, puis guerres de l’opium par les Occidentaux ? [3]
En 2009, pour marquer le début de la parade militaire à l’occasion du 60e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine, les gardes d’honneur effectuent exactement 169 pas sur la place Tiananmen. Ils représentent les 169 années passées, de 1840 à 2009. « Pas à pas, les hontes de la Nation sont lavées, avec la lutte d’innombrables héros qui ont précédé notre époque » explique le Beijing News, faisant référence, entre autre, à la guerre de l’Opium.

Selon l’INED [4], la Chine, premier pays au monde par sa population, occupe désormais une place prépondérante sur la scène économique et géopolitique mondiale. Cette situation de premier plan, la Chine la doit d’abord à sa population : 1,3 milliard d’habitants aujourd’hui, le cinquième de l’humanité, devant l’Inde et l’Afrique. Toutefois, selon les dernières projections démographiques des Nations Unies (2012), la population chinoise pourrait ne jamais atteindre 1,5 milliard d’habitants, plafonnant à 1,45 milliard en 2030 avant d’amorcer une décroissance.

La Chine détient aujourd’hui un avantage considérable sur ses principaux rivaux sur la scène économique mondiale : 70 % de la population est d’âge actif (15-59 ans), contre 65 % au Brésil, 62 % en Inde, 60 % en Europe de l’Ouest ou en Amérique du Nord, et 54 % au Japon. Elle comprend donc une proportion exceptionnellement faible de personnes économiquement dépendantes (enfants et personnes âgées). Toutefois, cette situation ne durera pas. Selon les projections démographiques des Nations unies, la part des personnes âgées de 65 ans ou plus, qui était de 7 % en 2000, devrait plus que tripler d’ici 2050, pour atteindre 24 %, la Chine comptant alors 330 millions de personnes âgées.

La Chine présente une autre caractéristique susceptible de fragiliser sa société : un déficit de femmes. Elle est l’un des rares pays au monde à compter une majorité d’hommes : 104,9 pour 100 femmes en 2010. Ce ratio la place juste derrière l’Inde, qui est le pays le plus « masculin » au monde, avec 106,4 hommes pour 100 femmes en 2011 (contre 98,5 dans le reste du monde).
Comme pour l’Inde, ce surcroît d’hommes résulte de deux facteurs : la pratique croissante d’avortements sélectifs au détriment des filles et une surmortalité féminine anormale due à des négligences de traitement dans la petite enfance. La préférence de la société chinoise pour les fils est le produit d’un système patriarcal et du confucianisme, qui maintient les femmes en position secondaire dans la famille et la société. Les fils ont l’avantage de perpétuer la lignée familiale et le devoir de prendre en charge les parents dans leur vieillesse. De plus, les couples devant limiter strictement le nombre de leurs enfants, les filles deviennent indésirables du simple fait qu’elles privent les parents de la possibilité d’avoir un fils.

Mais, avant les difficultés démographiques pressenties, l’Empire du milieu exploite le réel avantage actuel de la Chine pour assoir une nouvelle puissance mondiale.

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La Chine, première puissance économique mondiale ?

Dès le début de l’année 2014, les douanes de la République populaire de Chine pouvaient revendiquer que leur pays était devenu le premier pays commerçant de la planète en 2013. Au cours de cette année, ses échanges avec le reste du monde ont atteint 4 160 milliards de dollars devançant ceux des Etats-Unis. La Chine avait déjà détrôné l’Allemagne quatre années auparavant pour s’imposer au rang de premier exportateur de la planète.

Si l’UE [5] reste le premier partenaire commercial de la Chine, représentant 13,4% des échanges (+ 2,0% en valeur en USD [6] par rapport à 2012), la Chine échange avant tout avec ses voisins. L’Asie du Sud-Est et l’Asie Centrale sont au cœur des stratégies des « Nouvelles Routes de la Soie » annoncées par les dirigeants chinois en 2013, visant en particulier à sécuriser l’approvisionnement chinois en matières premières. Hors Asie, l’importance des pays émergents et en voie de développement dans le commerce extérieur de la Chine a fortement cru ces dernières années, en grande partie du fait de la demande chinoise en hydrocarbures et minerais. Au total, les exportations chinoises sont marquées par l’importance des produits à destination du consommateur final.
Les importations chinoises ont représenté 1 950 Mds USD en 2013 (+ 7,3%). Elles reflètent l’évolution des besoins de la société chinoise toujours importants en produits énergétiques et industriels. La sécurité alimentaire reste un enjeu, et la sécurité sanitaire en devient un. La classe moyenne émergente affiche des besoins nouveaux.

Premier exportateur mondial, premier pays pour le commerce international, la Chine devient le premier pays au monde pour le PIB à parité de pouvoir d’achat [7]. Ainsi, en 2014, le FMI [8] estime le PIB chinois à 17 632 milliards de dollars en parité de pouvoir d’achat, contre 17 416 pour les Etats-Unis.
Il faut toutefois raison garder. Ce n’est pas parce que l’adolescent vivant à Shanghai paie son hamburger et son smartphone 40% moins cher que celui vivant à New York, que la Chine est plus puissante économiquement que les Etats-Unis. La réalité est que le PIB réel (nominal) de la Chine [9] reste inférieur de 40% à celui des Etats-Unis - pour une population 4,5 fois supérieure. Dès lors que l’on parle de puissance économique comparée, le poids des entreprises d’échelle globale est plus adapté que la PPA. Et le classement global établi par le magazine Fortune, avec 95 entreprises chinoises parmi les 500 premières mondiales en 2014, devant le Japon (57), mais derrière les Etats-Unis (128), donne une image plus conforme de la réalité de ce point de vue. [10]

Ambitionnant de gagner la première place économique, la Chine cherche à retrouver son rang. Elle avait été la première puissance économique mondiale durant la majeure partie des vingt derniers siècles. Jusqu’au XVIIIe siècle et la révolution industrielle, le niveau de vie Chinois était certainement comparable à celui des pays européens. Bien que les comparaisons entre pays et régions forts différents, distants et entre périodes éloignées soient encore plus délicates qu’aujourd’hui, certains n’hésitent pas à affirmer que l’on trouvait en Chine le niveau de vie le plus élevé de la planète [11]

Chine, trente ans de croissance économique exceptionnelle
La Chine a connu une croissance sans précédent historique au monde au cours des trente dernières années.

Comme dans la plupart des autres grandes régions du monde, la production agricole a représenté l’activité économique principale en Chine pendant des millénaires. A la forte densité de population dans les zones cultivables a répondu une recherche particulièrement active de meilleurs rendements, par l’irrigation notamment. La culture végétale (blé et surtout riz) a également été privilégiée sur l’élevage. [12]
Aujourd’hui, l’agriculture chinoise emploierait plus de 300 millions d’agriculteurs. Le pays occupe le premier rang de la production agricole, notamment de céréales, produisant essentiellement du riz, du blé, des pommes de terre, du sorgho, de l’arachide, du thé, du millet, de l’orge, du coton, des oléagineux, du porc et du poisson. Selon les estimations de l’OCDE, le secteur agricole représente encore 15 % du PIB chinois et assure 40 % de l’ensemble des emplois. Une part qui s’élevait à 71 % à la fin des années 1970. [13]
Le futur de la Chine est indissociable des transformations de son monde rural et agricole. Dans les décennies récentes, l’agriculture a soutenu la croissance économique des autres secteurs, contribué à la réduction de la pauvreté et permis d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, considérée comme fondamentale pour la stabilité du pays. Cependant, ce modèle agricole connaît aujourd’hui des limites fortes : contraintes environnementales, faiblesse et inégalités des revenus ruraux, tensions sociales croissantes, consommation rurale limitée. Par ailleurs, alors que la production céréalière diminue, la dépendance fourragère croissante rend toute relative l’autosuffisance chinoise. [14]

Depuis les années 1980, la Chine connaît une industrialisation massive. Elle est ainsi peu à peu devenue un acteur majeur dans les industries de main-d’œuvre, les industries textiles et les objets manufacturés de basse qualité. Grâce à une main-d’œuvre nombreuse et bon marché, à un taux de change très compétitif, et à l’effondrement du prix des transports maritimes avec le containérisation, elle peut exporter de très grandes quantités à des prix très bas. L’industrialisation volontariste et le regroupement des capacités de production en clusters renforcent ses capacités productives et exportatrices d’année en année, ce qui vaut au pays le surnom d’« atelier du monde ». Ainsi la Chine assure la production mondiale de [15] :

  • 1/3 des chaussettes à Datang,
  • 80 % des boutons et fermetures à glissières à Qiaotou.

Elle fabrique :

  • 40 % des appareils électroniques avec Foxconn,
  • 60 % des montres,
  • 55 % des appareils photo,
  • 70 % des montures de lunettes,
  • 80 % des duvets et parapluies,
  • 75 % des jouets,
  • etc.

L’ouverture économique internationale de la Chine repose quant à elle sur les Zones économiques spéciales (ZES), qui couvrent aujourd’hui la quasi-intégralité du littoral chinois. Offrant des conditions de travail à bas coût et des avantages fiscaux aux firmes multinationales, elles les contraignent toutefois à rendre publiques leurs technologies en cas de délocalisation des usines. Les autorités chinoises ont adopté une stratégie d’ouverture très progressive, qui n’a commencé à se concrétiser que dans les années 1990 pour des secteurs-clés comme les banques ou les assurances. Cette ouverture parcimonieuse, synonyme d’arrivée de capitaux étrangers, lui a permis de quasiment ignorer la crise asiatique de 1997. [16]

L’investissement monte aux dépens de la consommation depuis la fin des années 1990 ; cependant, cette tendance commence à s’inverser ; quant au solde exportateur, après un gonflement passager au milieu des années 2000, sa contribution au PIB est redevenu relativement modeste : en effet, les exportations sont en grande partie constituées de produits assemblés à partir de composants importés, et la valeur ajoutée chinoise est faible par rapport à la valeur du produit fini ; en 2012 le solde exportateur représente 2,8 % du PIB contre 7,1 % pour l’Allemagne.
Source : Wikipédia

L’investissement, avec un taux 50 % du PIB égal à la consommation, sans équivalent dans le monde, est au cœur du modèle économique chinois. Et, le pilotage de cette énorme machine devient de plus en plus difficile. La Chine peut améliorer son système financier et le fonctionnement de ses entreprises ; mais pas remettre foncièrement en question un système basé sur l’investissement industriel, et son financement par un secteur bancaire public, sous peine de prendre le risque d’une implosion. Et il lui faut gérer les problèmes liés à ce système, aux premiers rangs desquels on trouve des surcapacités industrielles et un impact élevé sur l’environnement.
Loin de voir son importance reculer sur la scène économique mondiale, la Chine va au contraire accentuer sa présence. La gestion de sa transition économique a besoin de concours étrangers. Elle nécessite des technologies et des relais de croissance sur les marchés étrangers, pour la faire évoluer. Elle est gourmande en matières premières. Sa stratégie d’investissements à l’étranger a pris de l’ampleur depuis 2008. Les opportunités ouvertes par la crise financière internationale, n’en sont de ce fait qu’à leurs débuts. D’autant plus que, si le pays n’est toujours pas la première économie mondiale, il est la première puissance en termes de capitaux à investir. [17]
Dès à présent, l’influence de la Chine est déterminante dans toute l’Asie de l’Est et du Sud-Est où tous les pays, excepté la Corée du Nord, ont adopté un régime capitaliste. Un ouvrage collectif [18], de janvier 2015, y est consacré. Il souligne que : Dans cette effervescence des capitalismes asiatiques, la Chine joue un rôle particulier. Son dynamisme économique, associé à la puissance de l’État, lui permet de disputer la position dominante dont bénéficiaient les États-Unis dans la région. Grâce à une remarquable compétitivité-coûts fondée à la fois sur l’exploitation des paysans devenus salariés et sur la compétence technique et organisationnelle des travailleurs protégés, elle diffuse ses exportations dans l’ensemble des pays voisins au point de leur imposer ses normes industrielles, quand elle n’acquiert pas des pans entiers de leur économie.

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La pauvreté recule, les inégalités s’accroissent

Chine accroissement des disparités

Les inégalités s’aggravent dans la deuxième économie du monde, au point de menacer sa stabilité. [19] Tel était le commentaire dans un article du Figaro de février 2013 qui s’appuyait sur la connaissance récente des évolutions de l’indice de Gini (celui-ci mesure les inégalités de revenu : 0 si égalité parfaite, 1 à l’opposé). L’indice Gini de la Chine se serait élevé à 0,61 en Chine, selon le Centre d’enquête et de recherche sur les revenus des ménages, un institut lié à la banque centrale chinoise. « Ces disparités de revenus sont devenues énormes, commente l’étude de ce think-tank officiel, et un tel coefficient de 0,61 est très rare dans le monde. »
Le Bureau national des statistiques avait depuis publié son propre chiffre, estimant le Gini chinois à 0,474. [...] La société chinoise serait devenue « l’une des plus inégalitaires au monde », [...] le fossé entre riches et pauvres a atteint un niveau « alarmant ».
Encore faut-il souligner que ces calculs, notamment venant des services statistiques officiels Chinois, ne prennent pas en compte les revenus provenant de la corruption. On a pu voir depuis que la lutte contre ce fléau est devenu une préoccupation majeure des pouvoirs en place que celle-ci pouvait atteindre des niveaux importants et bénéficier à une strate, certes minoritaire de la population, mais significative [20]. Naturellement ces revenus n’apparaissent pas des les calculs du coefficient de Gini.

Pour autant, les choses ne sont pas univoques loin s’en faut, comme cela apparaît sur le graphique suivant.

La pauvreté baisse, les inégalités augmentent - Chine
La pauvreté à moins de 1,25$/j/pers baisse très rapidement en 25 ans. L’indice (ou coefficient) de Gini lui augmente. C’est un indicateur synthétique d’inégalités de salaires, de revenus, de niveaux de vie, de patrimoine... Il varie entre 0 et 1. Il est égal à 0 dans une situation d’égalité parfaite où tous les salaires, les revenus, les niveaux de vie, les patrimoines... seraient égaux. A l’autre extrême, il est égal à 1 dans une situation la plus inégalitaire possible, celle où tous les salaires (les revenus, les niveaux de vie...) sauf un seraient nuls. Entre 0 et 1, l’inégalité est d’autant plus forte que l’indice de Gini est élevé. INSEE
Source : Antagoniste.net

Pour apprécier la mesure des contrastes, nous nous sommes appuyés sur le site Mondialisation.ca et en particulier sur sa page La situation sociale en Chine : Perspectives et défis.

Cet article rappelle notamment que L’industrialisation en Europe occidentale a été un processus brutal et très radical. Elle a créé des problèmes sociaux et écologiques sans précédent. En Chine, elle concerne cinq fois plus d’êtres humains et il s’agit d’un processus qui se déroule quatre fois plus rapidement. Cette ruée vers la modernisation ne peut qu’entraîner des problèmes et défis gigantesques. Il serait peu avisé de le nier, voire de le minimiser. Par exemple, la désorganisation psychique et existentielle réclame un lourd tribut, suite à cette turbulence historique. Selon la prestigieuse revue médicale britannique The Lancet, un Chinois sur huit souffrirait d’une maladie mentale. En Chine le taux de suicide est parmi les plus élevés au monde. Mais dans le même temps, l’article attire l’attention sur l’immensité de ce quasi-continent. La Chine est un État-nation, mais, en fait, c’est un pays avec les proportions et la diversité d’un grand continent. Elle compte autant d’habitants que l’Europe occidentale, l’Europe de l’Est, les pays arabes, la Russie et l’Asie centrale ensemble. En outre, sur le plan du niveau de vie, elle présente les mêmes différences que les régions précitées. Dans les provinces côtières, les habitants disposent d’un revenu moyen comparable à celui de la Roumanie. Certaines régions se situent même aux environs de la Belgique ou de la France. Dans le centre du pays, les gens ont un niveau de vie comparable à celui de l’Albanie et, dans l’ouest, qui compte pourtant une population de 200 millions d’habitants, ce niveau descend jusqu’à celui de l’Égypte.

On a tendance à comparer la Chine avec nos pays anciennement industriels. C’est une grave erreur. Au milieu du XXe siècle, la Chine était un pays d’une très grande pauvreté.

Selon les trois critères : l’Indice de développement humain (IDH), le PNB par habitant et le salaire moyen, la Chine est toujours un pays « en voie de développement ». Mais c’est un pays qui jouit d’atout considérables et qui effectue des progrès exceptionnellement rapides.

Afin d’évaluer la situation sociale de la Chine, certains critères, indicatifs d’un développement social minimal, méritent attention : le logement, les infrastructures et plus particulièrement l’électricité, la violence, la sécurité alimentaire, l’alphabétisme, la mortalité infantile, la pauvreté, l’emploi et la situation des enfants et des femmes :

  • Entre 2005 et 2015, on estime qu’un tiers de tous les Chinois occuperont un nouveau logement. C’est presque autant que toute la population de l’Europe.
  • Plus de 99 % des ménages chinois ont accès à l’électricité et donc aux équipements ménagers.
  • La plupart des pays du Sud sont infestés par un taux élevé de violence. Sur ce plan, la Chine présente des statistiques excellentes. Les pays riches comptent deux fois plus d’homicides par habitant que la Chine. En Asie, on en est à quatre ou six fois plus et, en Amérique latine, vingt fois plus, même. L’image est similaire pour le nombre de journalistes assassinés. Avec ces chiffres il vaut mieux rester modeste en Europe.

  • 5,5 % de la population sont toujours confrontés à la faim. Bien que trop, c’est bien moins que l’Inde à 24 %.

Marc Vandepitte conclut l’article [21]. L’agitation sociale croissante, le fossé entre riches et pauvres et la corruption sont des problèmes sérieux, mais pas sans espoir. La Chine dispose de trois importants atouts pour aborder ces défis :

  • Les problèmes sont explicitement reconnus et cités.
  • La capacité d’action de la Chine oppose un étonnant contraste aux interminables discussions et impasses auxquelles on assiste aux États-Unis quand il s’agit d’approuver le budget ou au sein de l’Union européenne quand celle-ci aborde la crise de l’euro, ou encore à la léthargie et au manque de cohésion du gouvernement indien ces dernières années.

  • Le parti communiste a été capable de sortir le pays du sous-développement, de garantir sa souveraineté et de lutter pour une société humaine, socialiste.

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L’environnement, source très sérieuse de préoccupation

Nuage de pollution dans le nord de la Chine - 203-11-26
Source : gb.times, (Photo : Flickr)

« La Chine pourra-t-elle encore longtemps sacrifier son environnement au nom de la croissance ? » [22] s’interroge Pauline Bandelier dans un échange du 10 décembre 2013 avec Jean-Paul Maréchal, économiste de l’environnement, spécialiste de la Chine [23]. Le mécontentement des populations à l’égard de la dégradation de l’environnement ne peut plus être ignoré, d’autant que cette dernière touche de plus en plus toutes les populations, y compris celles favorisées, y compris les habitants des grandes villes.

Mais le meilleur témoignage des problèmes que pose la pollution, notamment atmosphérique en Chine est donné par une Chinoise, ancienne présentatrice vedette de la télévision d’État, Chai Jing. Son documentaire vidéo incisif sur la pollution atmosphérique en Chine a connu un succès fulgurant dès sa sortie samedi 1er mars 2015, avec plus de 155 millions de vues pendant le week-end. Il a été retiré une semaine plus tard par les autorités des principaux sites chinois. Sous le dôme est toujours visible sur YouTube, sous-titré en Français, mais son accès est bloqué en Chine début avril 2015 [24]. Le documentaire de 103 minutes détaille avec force pédagogie et entretiens percutants les causes et conséquences de l’épais smog brunâtre qui embrume de façon endémique les métropoles chinoises, et dénonce l’attitude négligente des autorités sur ce sujet.
Pourtant, le nouveau ministre de la Protection de l’environnement, Chen Jining, en avait même fait des compliments, et avait espéré que le succès de ce documentaire allait "encourager les gens à faire des efforts pour améliorer la qualité de l’air".
Une semaine encore plus tard, le Premier ministre chinois Li Keqiang à l’issue de la session plénière annuelle du parlement, reconnaissait : « Les progrès auxquels nous sommes parvenus ne sont pas à la hauteur des attentes de la population ». Il est probable que ce constat révèle en outre la difficulté du niveau national à faire prendre en compte les inflexions en faveur d’une meilleure prise en compte de l’enjeu environnemental. Il est symptomatique à cet égard que la somme des émissions de CO2 des diverses régions chinoise excède de 1,4 milliard de tonne par an les déclarations au niveau national, soit 9,6 milliards de tonnes en 2012 [25]

Il faut reconnaître que le problème est lourd. Une étude internationale estime à 1,2 millions le nombre de décès prématurés en Chine en 2010 et à 25 millions le nombre d’années en bonne santé perdues à cause de la pollution atmosphérique et notamment des particules fines [26]. La pollution des grandes villes chinoises, due principalement aux centrales au charbon, à l’industrie et à la circulation automobile, est un des principaux sujets de mécontentement de la population, ce qui a poussé le gouvernement à déclarer récemment "la guerre à la pollution", promettant notamment de diminuer la proportion des combustibles fossiles dans la production d’énergie.
Dans un article du 18 novembre 2014 sur LesEchos.fr [27], on peut lire : il ne fait plus l’ombre d’un doute que le pouvoir central a identifié la nécessité d’agir en profondeur. Le fléau est majeur : non seulement la qualité de l’air n’est pas aux normes de l’Organisation mondiale de la santé dans 495 des 500 plus grandes villes chinoises, mais il faut y ajouter une dégradation des sols inquiétante. Un cinquième des terres cultivables sont polluées, selon un chiffre officiel longtemps caché par l’Etat, et très probablement sous-évalué. Quant à la qualité de l’eau, elle est aussi très mauvaise, avec près d’un tiers des rivières sondées par le ministère de l’Environnement contenant des eaux considérées comme dangereuses pour le simple contact avec la peau. [...] Selon certaines sources, les problèmes écologiques seraient devenus le premier motif des innombrables soulèvements populaires qui secouent le pays localement. Li Keqiang, le Premier ministre, a donc officiellement déclaré la « guerre » à ce fléau.

C’est dans ce contexte, au lendemain de la clôture du Forum de coopération Asie-Pacifique (Apec), qu’a été annoncé, ce geste politique fort, par lequel les deux principaux pollueurs du monde, connus pour avoir souvent refusé toute forme de contrainte externe en matière d’engagements climatiques, ont voulu démontrer leur bonne volonté [28]. Washington promet de diminuer de 26 % à 28 % ses émissions d’ici à 2025, par rapport à leur niveau de 2005. Et Pékin, pour la première fois, fixe une échéance à son pic d’émission : celui-ci devra être atteint, au plus tard, « autour de 2030 ». Bâtir un futur climatique passe certainement par un tel accord. Il se trouve en outre, comme le précise le GIEC, que dans les mesures à prendre, la Chine est particulièrement intéressée par les co-bénéfices d’une réduction des émissions de CO2 et de la pollution atmosphérique par une moindre utilisation du Charbon.

Le barrage des Trois Gorges (en Chinois 三峡大坝 ) est un barrage hydroélectrique en Chine, sur le fleuve Yangtsé

Observons, comme autre signe favorable, le niveau exceptionnellement haut des investissements Chinois en faveur des énergies renouvelables : hydroélectricité, éolien, photovoltaïque. Ces développements considérables ne sont pas sans soulever également des questions, mais au moins témoignent-ils de la volonté de réduire la dépendance trop forte du pays aux combustibles fossiles.

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Portfolio


[1Edito du magazine L’Histoire n° 300 daté du juillet 2005, p. 3

[2Mh : millions d’habitants

[5UE : Union Européenne

[6USD : dollars américains

[7PIB : le produit intérieur brut est la somme des valeurs ajoutées de l’ensemble des activités d’un pays. C’est aussi la somme des consommations finales des agents économiques (ménages, administrations publiques, entreprises). Les comparaisons de PIB entre pays se font soit en nominal, en utilisant les taux de change des monnaies respectives, soit en parité de pouvoir d’achat qui prend mieux en compte ce que permettent d’acheter localement les devises de chaque pays.

[8FMI : Fonds monétaire international

[9Le PIB de la Chine en 2013 représente 9 240 USD

[15Philippe Bihouix, L’Âge des low tech, p. 150-153. Sources notamment de : Kham Vorapheth, Forces et fragilités de la Chine : Les incertitudes du grand Dragon, L’Harmattan, 2009 et Lu Shi & Bernard Ganne, Comprendre les clusters industriels de Zhejiang, International Workshop Asian Clusters, Lyon, 29 novembre 2006

[17Ibid Challenges

[20La lutte contre la corruption ces dernières années porte certains fruits : elle ferait baisser les chiffres d’affaires des grandes maison du luxe, notamment européennes. La question des montres tapageusement portées par certains parvenus ou cadres officiels a été emblématique du trouble provoqué par les revenus non déclarés. Il faut avoir en tête que l’équivalent du SMIG à Pékin s’élève à 160 euros/mois en parité de change. Une montre valant 5 000 euros (et payée ce prix) représente donc 30 fois le revenu mensuel d’un employé ou ouvrier ou bien représenterait un achat de 50 000 euros en France. Les français n’avaient-ils pas reproché le "bling-bling" de certains de leurs responsables ?

[21Marc Vandepitte, économiste (Belgique), un des auteurs de La Chine et le monde, ouvrage collectif, Le temps des cerises, septembre 2013

[23Jean-Paul Maréchal est professeur de sciences économiques à Rennes 2, chercheur associé à l’Institut Choiseul pour les questions d’économie internationale et d’environnement, auteur de Chine / USA : le climat en jeu (éd. Choiseul, 2011)

[25Source : Jean-Paul Maréchal. On comprend la demande de pouvoir vérifier les méthodes de mesure dans le cadre d’un accord international contraignant !

[26Health Effets Institute a publié une note sur la place de la pollution de l’air dans les premiers risques sanitaires au plan mondial en 2010, risque particulièrement élevé en Chine et dans les autres pays en développement d’Asie.

[28Dans l’ouvrage déjà mentionné plus haut, Capitalismes asiatiques et puissance chinoise, p. 93, Jean-Paul Maréchal, économiste de l’environnement, signe le chapitre sur La Chine et le climat. Il cite en exergue Chris Pattern : La Chine ne bougera pas sans l’Amérique et l’Amérique ne bougera pas sans la Chine. Ils sont enfermés ensemble. Un accord entre eux est vital pour sauver le climat

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