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Les initiatives s’accumulent pour des
Alimentations saines et durables
Quelques consensus émergent
samedi 12 mars 2022, par
Un précédent article interroge, Faut-il changer nos repas ? Il relève que, déjà, nombre d’entreprises investissent en R&D pour développer de nouveaux aliments. Le présent article se focalise sur les études, travaux, décisions, qui plaident dans le sens d’une évolution de nos régimes alimentaires. L’accumulation, les convergences semblent dessiner quelques consensus qui, entre autres apparaissaient déjà dans L’intelligence du vivant pour le climat. De telles orientations dépendent-elle pour autant du développement de nouveaux aliments ?
Manger sain est un choix commun. Réduire sa contribution au réchauffement climatique est la volonté de beaucoup, même si elle passe rarement par les choix alimentaires. Et pourtant des travaux, déclarations et orientations à diverses échelles mettent des convergences en avant.
Sommaire
- Introduction
- 1. L’organisation des Nations unies se penche sur l’alimentation et sa production
- 2. L’Europe veut un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement
- 3. Vers un programme français pour une alimentation durable
- Dès 2016, Solagro dessine un horizon pour l’agriculture et l’alimentation : Afterres 2050
- Programme national pour l’alimentation (PNA)
- Vers une alimentation durable : Un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France — rapport d’information du Sénat
- Pour une alimentation saine et durable - Analyse des politiques de l’alimentation en France — Rapport pour l’Assemblée nationale
- Que faire pour que l’agriculture et l’alimentation française évoluent de façon compatible avec nos engagements climatiques ?
- Une nouvelle politique agricole commune mise en œuvre à partir de 2023
- Quelques constats et orientations font consensus
1. L’organisation des Nations unies se penche sur l’alimentation et sa production
Le GIEC consacre un rapport spécial aux terres émergées [1]
Les spécialistes du climat portent une attention toujours accrue aux impacts du réchauffement climatique sur les milieux et les productions terrestres ainsi que sur les incidences sur le climat des divers modes de gestion des milieux terrestres : espaces naturels, forêts, agriculture-élevage, changements des utilisations des sols.
Selon le GIEC, « nombre d’options de réponse pour l’atténuation du changement climatique et l’adaptation permettent aussi de combattre la désertification et la dégradation des terres et d’améliorer la sécurité alimentaire. » Parmi les conditions propices à la mise en œuvre des options de réponse, le GIEC souligne notamment :
Les politiques visant l’ensemble du système alimentaire, y compris celles qui visent à réduire les pertes et le gaspillage et à influencer les choix alimentaires, conduisent à une gestion plus durable des terres, une meilleure sécurité alimentaire et des trajectoires à faibles émissions. Ce genre de mesures peut contribuer à l’adaptation au changement climatique et à l’atténuation, à faire reculer la dégradation des terres, la désertification et la pauvreté, et à améliorer la santé publique. L’adoption d’un système de gestion durable des terres et l’élimination de la pauvreté peuvent être facilitées par un accès élargi aux marchés, un régime foncier sécurisé, la prise en compte du coût environnemental dans les denrées alimentaires, la rémunération des services écosystémiques et l’amplification de l’action collective, locale et communautaire.
[…]
Tenir compte des co-bénéfices et des compromis lors de l’élaboration de politiques alimentaires et concernant le secteur des terres peut permettre de surmonter certains obstacles à leur mise en œuvre.
Le GIEC, reprenant le consensus scientifique, signale ainsi une articulation entre une évolution des régimes alimentaires et la lutte contre le réchauffement climatique.
FAO - OMS, Régimes alimentaires sains et durables, Principes directeurs - 2020 [2]
La consultation d’experts organisé par les deux organisations internationales FAO et OMS a adopté des principes directeurs :
Reconnaissant l’existence d’opinions divergentes concernant les concepts de régimes alimentaires durables et de régimes alimentaires sains, les pays ont demandé l’avis de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur ce qui constitue des régimes alimentaires sains et durables. […]
Les pays devront déterminer la juste mesure d’application de ces principes en fonction de leur situation et de leurs objectifs.
L’introduction mentionne que, à côté d’une cause de morbidité et de mortalité (sous et mal nutrition, maladies non transmissibles liées à l’alimentation) « Les systèmes alimentaires sont simultanément une cause importante de la dégradation de l’environnement et de l’épuisement des ressources naturelles. » Elle souligne que …
Chaque contexte est unique et pose des défis spécifiques pour assurer la disponibilité, l’accessibilité et la consommation des régimes alimentaires, et nécessite donc une solution personnalisée pour favoriser une santé et une durabilité optimales. Bien que les solutions varient, les objectifs des régimes alimentaires qui répondent à des préoccupations d’ordre sanitaire et environnemental, social/culturel et économique sont les mêmes pour toutes les personnes en bonne santé. Exprimer de façon précise ces objectifs peut faciliter la définition, l’élaboration et la réalisation d’actions spécifiques répondant aux besoins contextuels.
Le rapport comporte plusieurs documents de synthèse. Le premier est un « Document d’information sur les régimes alimentaires sains ». Il retient notamment en conclusion que
Les recommandations de l’OMS […]mettent l’accent sur l’importance de la hausse de la consommation de plusieurs aliments d’origine végétale (fruits, légumes (sauf les racines amylacées), légumineuses, fruits à coque et blé complet) ; la limitation de la consommation énergétique issue des sucres libres et des matières grasses totales ; la consommation de graisses non saturées plutôt que de graisses saturées ou d’acides gras trans ; et la limitation de la consommation de sel, tout en utilisant le sel iodé comme défense contre les carences en iode.
Le deuxième document de synthèse est consacré au « rôle des régimes alimentaires sains dans la création de systèmes alimentaires durables du point de vue environnemental ». Il en ressort notamment que :
Ainsi, on estime que l’adoption mondiale d’un régime alimentaire faible en viande et répondant aux recommandations nutritionnelles en termes de fruits, de légumes et de besoins caloriques devrait réduire les GES liées au régime alimentaire de près de 50 pour cent, et les décès prématurés de près de 20 pour cent.
2. L’Europe veut un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement
Décarboner l’Europe, exige de réussir le passage à l’agriculture durable [3]
En 2012, l’agriculture engendre 12 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Union européenne bien qu’ayant diminué celles-ci de 23 % par rapport à 1990, dont une bonne part du méthane et l’essentiel du protoxyde d’azote. Et plus largement, les émissions liées à l’alimentation représentent environ 30 % des émissions brutes de l’Union. Or l’élevage pèse pour 70 à 80 % des émissions directes du secteur agricole. C’est pourquoi dès 2017, avec son « Manifeste pour décarboner l’Europe », The Shift Project recommande de :
- Réduire de moitié les pertes et gaspillages alimentaires ;
- Réorienter massivement l’élevage vers des productions labellisées de haute qualité, afin de diminuer les volumes et d’augmenter les prix unitaires payés aux éleveurs ;
- Améliorer l’équilibre nutritionnel avec une consommation de produits d’origine animale moindre et de meilleure qualité.
Une Europe entièrement agroécologique pourrait nourrir durablement 530 millions d’Européens en 2050 selon TYFA [4]
Afin de prendre en charge de manière cohérente les enjeux auquel fait face le système alimentaire européen actuel : aller vers une alimentation plus durable des Européens, préserver la biodiversité et les ressources naturelles, et lutter contre le changement climatique, le projet TYFA explore la faisabilité et les conditions d’une généralisation de l’agroécologie, fondé sur l’abandon des pesticides et des engrais de synthèse, le redéploiement de prairies extensives et d’infrastructures paysagères. S’appuyant sur les mêmes constats et les recommandation de l’OMS et la FAO, il appelle une évolution du régime alimentaire européen.
En partant d’un régime alimentaire sain, basé sur les recommandations nutritionnelles en vigueur (EFSA, OMS et PNNS), tout en conservant des attributs culturels importants comme la consommation de produits animaux et de vin, la baisse de production modélisés dans le scénario (– 30 % sur les produits végétaux et – 40 % sur les produits animaux) permet de nourrir les Européens, y compris en consacrant une fraction élevée des surfaces à des infrastructures agroécologiques qui ne produisent pas directement mais contribuent au bon fonctionnement des agroécosystèmes.
Ce régime alimentaire est notablement moins riche en produits animaux – mais ceux que l’on consomme sont de meilleure qualité – et en sucres ; il l’est par contre davantage en fruits et légumes – de saison – et en fibres. Il est au total plus sain sur le plan nutritionnel et d’une qualité environnementale totale si l’on considère le remplacement des pesticides par des auxiliaires naturels.
L’Union européenne déploie une stratégie « De la ferme à la table » [5]
La stratégie « De la ferme à la table » s’inscrit dans « Le pacte vert pour l’Europe » qui indique comment faire de l’Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d’ici à 2050. Elle est en outre un élément essentiel du programme élaboré par la Commission pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. Elle « reconnaît les liens inextricables entre des personnes en bonne santé, des sociétés en bonne santé et une planète en bonne santé. »
La stratégie s’appuie sur le fait que « L’alimentation européenne est déjà une norme mondiale en matière de nourriture sûre, abondante, nutritive et de qualité. » Mais elle n’en affirme pas moins que « les systèmes alimentaires restent fondamentalement l’un des principaux facteurs du changement climatique et de la dégradation de l’environnement. Il est urgent de réduire la dépendance aux pesticides et aux antimicrobiens, de réduire l’emploi abusif d’engrais, de développer l’agriculture biologique, d’améliorer le bien-être des animaux et d’inverser la régression de la biodiversité. » Il est noté que …
L’agriculture est responsable de 10,3 % des émissions de GES de l’Union et près de 70 % de ceux-ci sont imputables au secteur de l’élevage. Elles sont constituées de GES autres que le CO2 (méthane et protoxyde d’azote). En outre, 68 % de la surface agricole totale sert à la production animale. Afin de réduire l’incidence de la production animale sur l’environnement et le climat, éviter les fuites de carbone lors des importations et soutenir la transition en cours vers un élevage plus durable, la Commission entend faciliter la mise sur le marché d’additifs pour l’alimentation animale durables et innovants. Elle reverra les règles de l’Union afin de réduire la dépendance à certaines matières premières pour aliments des animaux essentielles (telles que le soja cultivé sur des terres déboisées) en favorisant les protéines végétales cultivées dans l’Union et des matières premières pour aliments des animaux de substitution telles que des insectes, des aliments marins (par exemple, les algues) et des sous-produits de la bioéconomie (par exemple, des déchets de poisson). En outre, la Commission va réviser le programme de promotion de l’UE en faveur des produits agricoles, afin de contribuer davantage à une production et à une consommation durables et en adéquation avec l’évolution des régimes alimentaires. En ce qui concerne la viande, cette révision devrait porter sur la manière dont l’Union peut utiliser son programme de promotion pour soutenir les méthodes de production animale les plus efficaces au regard des émissions de carbone et les plus durables. Elle évaluera aussi rigoureusement toute proposition de soutien couplé dans les plans stratégiques du point de vue de sa nécessité pour la durabilité globale.
Comme à l’échelle mondiale, la Commission européenne reprend à son compte le constat selon lequel …
Les comportements alimentaires actuels ne sont pas durables, tant du point de vue de la santé que du point de vue de l’environnement. Alors que, dans l’Union, les apports moyens en énergie, en viandes rouges, en sucres, en sel et en matières grasses continuent de dépasser les recommandations, la consommation de céréales complètes, de fruits et légumes, de légumineuses et de fruits à coques est insuffisante.
Dans sa conclusion…
La Commission invite l’ensemble des citoyens et des parties prenantes à engager un vaste débat, y compris dans les assemblées nationales, régionales et locales, en vue d’élaborer une politique alimentaire durable.
L’annexe à la communication de la Commission détaille le projet de plan d’action.
3. Vers un programme français d’alimentation durable
Dès 2016, Solagro dessine un horizon pour l’agriculture et l’alimentation : Afterres 2050 [6]
La question de l’ONG …
Est-il possible de : Ralentir la course du dérèglement climatique, de la perte de biodiversité, en finir avec les pollutions de toutes sortes des eaux, des sols, de nos aliments...Satisfaire les besoins essentiels de tous avec une nourriture saine et suffisante et passer d’une économie dominée par le carbone fossile à une économie assise sur le carbone renouvelable pour les matériaux, la chimie, l’énergie...... alors que nous allons être plus nombreux, que l’artificialisation des terres fait disparaître l’équivalent d’un département tous les 10 ans que les rendements stagnent, que les aléas climatiques plus fréquents et intenses peuvent mettre à mal les récoltes ?
L’ÉQUATION EST COMPLEXE !
Nos agriculteurs et nos forestiers peuvent-ils relever ces défis ? La France est-elle assez grande pour produire tout cela ?
DANS LE SCÉNARIO AFTERRES 2050, LA RÉPONSE EST OUI !
Les recommandations sont …
- Dans les assiettes : réduction de consommation de 1/3, division par 2 des pertes et gaspillages, 1/3 des protéines d’origine animale - 2/3 d’origine végétale, soit l’inverse du rapport actuel.
- Aux champs : généralisation de l’agroécologie, la production animale est essentiellement placée sous label ou signe de qualité et l’autonomie alimentaire des élevages est privilégiée.
- Les surfaces et forestières sont protégées.
Programme national pour l’alimentation (PNA) [7]
Reprenant aussi les principes directeurs de l’OMS et de la FAO, …
La politique de l’alimentation a pour finalités « d’assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous, favorisant l’emploi, la protection de l’environnement et des paysages et contribuant à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique ». L’outil du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation pour relever ce défi est le Programme national pour l’alimentation (PNA).
[…]
Au croisement de différentes politiques publiques relatives à la préservation de la santé, à l’environnement et à la transition agroécologique, le PNA est nécessairement complémentaire de nombreux autres plans. Il est plus spécifiquement articulé avec le nouveau plan national nutrition santé (PNNS) 2019-2023 qui fixe les objectifs, principes et orientations de la politique nutritionnelle.
Le PNA et le PNNS sont les deux principaux outils de la politique nationale de l’alimentation et de la nutrition portée par le gouvernement pour 2019-2023. Ils font l’objet d’un document de présentation commun dévoilé lors du Comité Interministériel de la Santé du 25 mars 2019 : le programme national de l’alimentation et de la nutrition (PNAN).
Ce document formule les politiques publiques synthétisant à la fois des objectifs de santé publique, agricoles et environnementaux. Le PNAN identifie onze « Actions phares ». Il recommande en particulier d’ « Augmenter les fibres, réduire les quantités de sel, sucres, gras dans les aliments de consommation courante… ». Il faut déplorer que ce PNAN n’ai pas associé également le ministère de la transition écologique en charge à la fois des politiques publiques concernant énergie et climat, biodiversité et nature, pollutions et notamment celles de l’air et des eaux. Heureusement, à l’inverse, d’autres institutions, le Sénat, l’Assemblée nationale, France Stratégie, et certaines organisations non gouvernementales articulent les aspects environnementaux pour formuler des recommandations synthétiques, voire des plans d’actions, pour des productions alimentaires qui prennent en compte la protection de l’environnement et des paysages et contribuent à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique.
Vers une alimentation durable : Un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France — rapport d’information du Sénat [8]
Ce rapport consacre un chapitre pour « Une prise de conscience de la non-soutenabilité du système alimentaire » pour des raisons à la fois, i) de la question stratégique et de la sécurité alimentaire, ii) des enjeux de santé, iii) des enjeux écologiques. Il en tire deux axes pour guider la transition alimentaire du XXIe siècle : sobriété et végétalisation. Considérant que cette transition sera tirée par la demande, il recommande de lutter contre les inégalités en levant des barrières culturelles et économiques. Et il appelle un fort développement des légumineuses à la fois dans la consommation et dans la structuration des filières de production. Un encadré est réservé à une explicitation de l’agroécologie.
Pour une alimentation saine et durable - Analyse des politiques de l’alimentation en France — Rapport pour l’Assemblée nationale [9]
En invitant France Stratégie à travailler sur une « alimentation saine et durable », l’Assemblée nationale se place au cœur d’un des grands enjeux des décennies à venir : celui de la rencontre entre les préoccupations de santé que portent les politiques de l’alimentation tournées vers la nutrition, et les objectifs environnementaux, économiques et sociaux des politiques tournées vers l’alimentation, au sens d’offre de produits agricoles et agroalimentaires.
Et l’avant propos mentionne une « approche sur laquelle ont convergé en 2020 la FAO et l’OMS en publiant des principes directeurs pour une alimentation saine et durable ». Et d’ajouter …
L’Assemblée nationale s’empare donc de ce sujet à un moment où l’intégration de la préoccupation environnementale au tout premier plan dans la conception des politiques agricoles et agroalimentaires peut donner de nouveaux leviers de convergence entre des politiques jusqu’ici éloignées. L’exemple type de cette convergence est celui de l’évolution vers une alimentation comportant moins de viande de bœuf et de produits laitiers : leur production est fortement émettrice de gaz à effet de serre ; leur part importante dans le régime alimentaire français doit être modérée pour cette raison mais aussi pour améliorer la santé de nos concitoyens. Dans le même temps, certains modes d’élevages extensifs et autonomes permettent de préserver des écosystèmes contribuant à la séquestration de carbone et à la préservation de la biodiversité, comme les prairies permanentes ou les bocages.
Que faire pour que l’agriculture et l’alimentation française évoluent de façon compatible avec nos engagements climatiques ? [10]
Le Shift Project élargit encore le sujet, car le système alimentaire repose sur un ensemble de flux de matières et d’énergie qui montre ses liens de dépendance aux ressources naturelles et à d’autres secteurs économiques et parties du monde. Il propose un « Plan de transformation de l’économie française » (PTEF), pour qu’en 2050 la France soit devenue indépendante des énergies fossiles, résilience face aux crises climatiques et à des problèmes d’approvisionnement sur différentes ressources. Sans surprise, il repart du constat que l’agriculture et l’alimentation sont sources de un quart des émissions de GES. Avec une intégration de l’ensemble des secteurs dans une représentation de l’économie à partir des stocks et flux d’énergie, de matériaux, d’emplois et de compétences, le PTEF adresse un certain nombre de demandes à l’agriculture et la forêt en plus des productions alimentaires : bois, fibres, biomasse, énergie. Et ceci devra se faire avec des modes de production agroécologiques en phase avec les schéma et scénarios de Solagro ou de l’IDDRI. Le PTEF donne sa vision du secteur de l’agriculture et de l’alimentation en 2050 :
- Production de lait et d’oeufs réduite de 33 %
- Produits de la pêche divisés par 2
- Production de viande divisée par 3
- Pertes et gaspillage divisés par 4
- Les émissions nationales de GES ont baissé de 60 %. Le secteur devient producteur net de carburants et de combustibles. La santé des Français s’est améliorée grâce au changement d’alimentation.
Une nouvelle politique agricole commune mise en œuvre à partir de 2023
Le Conseil européen a adopté la réforme de la PAC le 2 décembre 2021 [11]. Les instances européennes, Commission, Conseil, Parlement, soulignent l’inscription de la réforme de la PAC dans le « Pacte vert » européen (voir plus haut). Les priorités visent à :
- renforcer la contribution de l’agriculture aux objectifs de l’UE en matière d’environnement et de climat
- assurer un soutien plus ciblé aux petites exploitations
- laisser aux États membres une plus grande marge de manœuvre pour adapter les mesures aux conditions locales
Sa mise en œuvre passe par une explicitation propre à chaque État-membre. Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a souhaité un débat public organisé avec l’aide de la (CNDP) et a demandé l’avis de l’Autorité environnementale. A la suite de quoi, la France a transmis son projet de plan stratégique national (PSN) à Bruxelles [12]. Ce dernier prévoit entre autres orientations : une forte augmentation de l’enveloppe consacrée aux légumineuses et l’incitation à inclure des légumineuses dans les assolements ; une diversification des cultures ; un doublement des surfaces en AB ; le maintien des prairies permanentes au titre du climat ; un renforcement de l’autonomie de l’agriculture en réduisant l’empreinte carbone alimentaire et la déforestation importée ; etc. Le PSN, éventuellement modifié, puis approuvé par la Commission européenne, entrera en vigueur à partir de 2023.
Quelques constats et orientations font consensus
Il faut tout d’abord rappeler que les rapports et décisions de politique publique mentionnées dans la partie 1. sont l’aboutissement de nombre de travaux conduits depuis des décennies par de nombreuses équipes scientifiques et de nombreux experts. Chacun des documents renvoie à des sources nombreuses dument référencées. A ce titre, ils sont l’aboutissement de consensus pour lesquels les connaissances scientifiques connues ont été prises en considération. Les convergences entre ces diverses approches apparaissent comme des supports solidement étayés.
Comme exprimé par la consultation d’experts organisée par la FAO et l’OMS, chaque contexte est unique et pose des défis spécifiques pour assurer la disponibilité, l’accessibilité et la consommation des régimes alimentaires, et nécessite donc une solution personnalisée pour favoriser une santé et une durabilité optimales. Les travaux menés aux diverses échelles, y compris pour notre pays, nous permettent de retenir des propositions concernant le système alimentaire français.
Le système alimentaire doit devenir durable
Depuis des décennies, les incidences négatives sur l’environnement de certaines pratiques agricoles ont conduit à des efforts sur le terrain et des règlementations souvent édictées à Bruxelles pour protéger les masses d’eau, éviter les écoulements de nitrates et phosphates, réduire l’érosion des sols, limiter les contaminations par les produits phytosanitaires (autrement dénommés biocides), tenter d’entraver la déplétion des biodiversités.
Mais, ces efforts et règles ne suffisent pas à enrayer les dégradations. L’agriculture, et plus largement la gestion des sols, compte pour une source importante de GES, le système alimentaire dans son ensemble pour environ 30 %. Le système alimentaire européen et français, via ses importations, diffuse hors de ses frontières certaines incidences délétères pour l’environnement local et mondial, y compris de la déforestation, tandis qu’il diminue son autonomie, accroît ses dépendances et risque d’atténuer sa capacité de résilience. Le réchauffement climatique fait peser une menace accrue sur les rendements agricoles. Le système alimentaire génère près du tiers des transports de marchandise intra-européen.
Plusieurs points ressortent de ces constats … :
- La lutte contre les pertes et gaspillages alimentaires est seulement engagée, elle doit s’amplifier.
- La part des consommations de produits animaux qui excède les besoins nutritionnels (voir partie suivante) et qui capte actuellement 60 à 70 % des ressources mobilisées pour l’agriculture, dont les surfaces agricoles utiles, doit diminuer.
- La part des protéaginteux et légumineuses dans les rotations des grandes cultures doit croître à la fois pour réduire les importations, diminuer les besoins d’engrais azotés, et participer à l’enrichissement des sols.
- Le recyclage des nutriments (azote, phosphates, potasses, micro-nutriments) impose une moindre spécialisation géographique des productions agricoles. La lutte contre l’érosion des sols reste un impératif. Leur amélioration nécessite des pratiques qui les enrichissent en humus et donc en carbone, contribuant à la capture et séquestration du CO2.
- Le rapprochement productions — consommations plaide pour une inscription plus territoriale des systèmes alimentaires.
- Une forte intégration de l’ensemble des connaissances agronomiques, l’élaboration et la diffusion de conseils techniques adaptés à chaque situation sont indispensables pour un développement rapide et massif des diverses pratiques regroupées sous l’appellation d’agro-écologie.
La santé peut gagner par d’autres pratiques alimentaires
Les interrogations ont longtemps persisté, puis les polémiques ont été volontairement entretenues, mais il n’y a plus beaucoup de doute à présent sur les nuisances dues au tabac ou à la consommation excessive d’alcool. Compter en même temps à l’échelle mondiale, près de 900 000 personnes souffrant de sous ou mal nutrition tandis que le surpoids, l’obésité et les maladies non transmissibles qui les accompagnent touchent plus de 2 milliards d’individus pointe de graves dysfonctionnements de nos systèmes alimentaires.
La richesse relative de nos pays européens, et de la France en particulier, ne l’exonère malheureusement pas de constats similaires. Notre pays suit les grandes tendances mondiales, avec une alimentation de plus en plus grasse, sucrée et salée, et une part croissante des aliments transformés. À ces tendances se conjugue une consommation d’alcool toujours trop élevée. Le système alimentaire français doit donc encore relever de grands défis en matière de santé publique, en lien avec la qualité nutritionnelle mais aussi l’alcool. C’est pourquoi, une approche élargie de la notion de politique de l’alimentation, centrée sur la promotion de régimes alimentaires sains et durables, permet d’aborder de manière systémique les enjeux alimentaires.
Le rapport de France Stratégie à l’Assemblée nationale rappelle que
Les principaux instruments permettant d’accompagner les consommateurs vers une alimentation plus saine et plus durable pour tous sont déjà bien identifiés : l’éducation à l’alimentation tout au long de la vie au plus près du terrain, assortie d’outils de partage et d’évaluation des pratiques ; des dispositifs d’information nutritionnelle et environnementale comme le Nutri-Score ou l’affichage environnemental ; l’encadrement de la publicité ; des actions auprès de l’industrie pour améliorer la qualité nutritionnelle des aliments ; le renforcement des dispositifs d’aide alimentaire ; la mobilisation de la fiscalité nutritionnelle.
Parallèlement, il est possible de faire évoluer la production agricole nationale pour contribuer à l’alimentation saine et durable des Français, d’accélérer l’évolution de la politique agricole commune pour qu’elle devienne plus favorable à l’environnement, de renforcer les mesures de soutien à la transition agroécologique, ainsi que les initiatives des projets alimentaires territoriaux ; une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre les acteurs doit continuer à être recherchée.
[…]
La convergence des objectifs de santé (prévention de l’obésité et des autres maladies liées au régime alimentaire) et de transition écologique (réduction des émissions de gaz à effet de serre et des intrants chimiques) contribuera à la transformation du modèle de production agricole et agroalimentaire.
Les savoir-faire et traditions locales gardent toute leur place
Les recommandations pour améliorer nos pratiques alimentaires restent très générales. Elles laissent grandes ouvertes les adaptations aux diverses situations particulières et traditions culinaires. Il est même recommandé de rapprocher les consommations des productions, de favoriser les circuits courts, de privilégier les consommations des produits de saison.
Il y a encore un siècle, la plupart des régimes alimentaires réservaient une part accrue aux produits d’origine végétale. Ils n’en étaient pas moins extrêmement divers selon les régions et traditions culinaires. Les évolutions vers des régimes plus sains et plus durables nous incitent à renouer ces savoir-manger. Pour autant, elles n’imposent aucun retour passéiste. L’ouverture de notre monde aux diverses civilisations nous donne accès à une grande variété de goûts, de saveurs, et d’accommodements des denrées disponibles.
On le voit, nulle nécessité d’imposer de nouveaux aliments [13] pour répondre aux principes directeurs réunis par la FAO et l’OMS. Mais à l’inverse ceux-ci peuvent probablement ouvrir la voie à des pratiques plus indépendantes des habitudes, éventuellement plus équilibrées ou raisonnées. Encore faudra-t-il alors entourer leur introduction et leur éventuelle généralisation de prudences et de précautions.
Recevez la lettre-info de Sentiers en indiquant votre adresse électronique :
[1] Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a consacré un rapport sur Changement climatique et terres émergées. Publié en anglais en 2019, ce rapport spécial du GIEC porte sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres. Vous pouvez aussi consulter sur ce site ici.
Il faut rappeler que le GIEC ne produit pas de nouvelle connaissance scientifique en propre, mais, qu’en revanche, il synthétise l’état des travaux scientifiques (publications académiques notamment) sur le climat, sur ses évolutions, et sur les impacts de ces évolutions.
[2] Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et Organisation mondiale de la Santé (OMS), RÉGIMES ALIMENTAIRES SAINS ET DURABLES, PRINCIPES DIRECTEURS, Rome 2020,
[3] Après l’Accord de Paris pour le climat, fruit de la COP 21 en décembre 2015, l’ONG française The Shift Project, prépare neuf recommandations, qui viendront à l’appui du Manifeste pour décarbonater l’Europe publié début 2017.
[4] En septembre 2018, l’IDDRI publie TYFA, « Ten years for agroecology » — Une Europe agro-écologique en 2050 : une agriculture multi-fonctionnelle pour une alimentation saine - Enseignements d’une modélisation du système alimentaire européen
[5] La stratégie « De la ferme à la table » a été initiée le 20 mai 2020 par une communication de la Commission européenne.
Le 19 octobre 2021, le Parlement européen a voté en faveur de la stratégie de la Commission européenne qui vise un “système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement”. Les citations mentionnées dans cette partie sont elles-même documentées par des références à des travaux scientifiques et expertises collectives éventuellement à consulter.
[6] Solagro a publié sa plus récente version en 2016 sur son site Internet : Afterres 2050.
[7] Le ministère en charge de l’alimentation affiche sa politique en faveur d’un Programme national pour l’alimentation 2019-2023 : territoires en action (PNA 3)
[8] Mme Françoise CARTRON et M. Jean-Luc FICHET, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, ont déposé le 28 mai 2020 sur le bureau du Sénat, ce rapport de 107 pages, Vers une alimentation durable…
[9] Le 22 septembre 2021, réalisé à la demande de Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, France Stratégie publie un rapport sur les politiques de l’alimentation dans leurs composantes économiques, sociales environnementales et de santé publique
[10] TheShift Project a publié en février 2022 chez Odile Climat, crises : Le plan de transformation de l’économie française. Étape intermédiaire d’un vaste programme opérationnel lancé en mars 2020, pour nous emmener vers la neutralité carbone, secteur par secteur, les travaux sont consultables sur PTEF
[11] Le Conseil adopte une politique agricole plus juste, plus verte et davantage fondée sur les résultats
[12] PAC 2023-2027 : proposition de PSN de la France transmise à la Commission européenne. Les termes du débat organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) sont accessibles ici. L’avis délibéré de l’Autorité environnementale est accessible ici
[13] Les Nouveaux aliments sont définis comme une catégorie d’aliments ou d’ingrédients alimentaires qui n’a pas d’historique de consommation humaine dans une région géographique donnée avant une certaine date ou dont le procédé d’obtention n’avait pas été mis en œuvre à cette date.