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Inclure les voix citoyennes dans l’élaboration des politiques publiques

Vers une démocratie participative des premiers mots

Par la voie du CESE

mercredi 4 septembre 2024, par André-Jean

Introduction

Au sein de l’Amicale des anciens membres du CESE, les discussions prolongent les réflexions sur cette institution et sur les moyens de la rendre encore plus utile au pays. Cet article est l’une des réponses aux questions soulevées. Elle n’engage que son auteur.

La loi organique n° 2021-27 du 15 janvier 2021, porte une nouvelle réforme du Conseil économique, social et environnemental (le CESE). Selon son site Internet, elle fait de ce dernier le « carrefour des consultations publiques » et l’institution de référence en matière de participation citoyenne.
Il n’est pas sans intérêt d’y regarder de plus près au vu de la succession des actes récents qui ont fait évoluer le CESE et sa place dans l’élaboration des politiques publiques. Cet organisme pourrait-il gagner encore en effectivité de la prise en compte des voix émanant de la société civile ? Des marges de progrès sont-elles identifiables ? La période d’incertitudes politiques actuelles laisse-t-elle des voies de mise en œuvre ?

En conclusion

Un gouvernement, même minoritaire, a toujours des marges de manœuvre pour faire progresser la participation citoyenne à l’orientation et la préparation des politiques publiques. La récente réforme du CESE renforce sa capacité à synthétiser l’avis des citoyennes et citoyens. L’État aurait toute possibilité d’inscrire, par voie réglementaire, la consultation de cette institution dans le processus administratif de réflexion et de préparation concernant les politiques publiques.

Sommaire

Du CNE au CESE

Le Conseil national économique est fondé en 1925 et contribue à l’élaboration du droit social français. Supprimé en 1940 par le gouvernement de Vichy, il est refondé après-guerre. En 1946, le Conseil économique est instauré par la Constitution de la 4ème République et se compose de près de 200 membres. En 1958, la Constitution de la 5ème République inscrit le Conseil économique et social (CES) dans les institutions et porte son effectif à 233 membres.

« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs. » c’est avec cette petite phrase que Jacques Chirac, Président de la république française, ouvre son discours devant l’assemblée plénière du quatrième sommet de la terre en septembre 2002 à Johannesburg. Dès 2001, il avait annoncé le principe d’élaborer une charte de l’environnement. Il en prend l’engagement lors de sa campagne électorale de 2002. La révision constitutionnelle est préparé par une commission présidée par le professeur Yves Coppens. La Charte est votée en congrès à Versailles le 28 février 2005 et promulguée le 1er mars. La volonté d’inscrire le développement durable dans l’ensemble des politiques publiques se traduit par la création en janvier 2003 du Conseil national du développement durable (CNDD) et en juin par le lancement de la stratégie nationale de développement durable (SNDD). Une délégation au développement durable (DDD) est créée au sein de l’administration du ministère chargé de l’environnement et chaque ministère se dote d’un haut fonctionnaire au développement durable (HFDD). Le 26 octobre 2005, le Commissariat général au Plan (CGP) rend public devant la Presse et les ONG environnementales deux rapports de prospective EQUILIBRES et ISIS, sur l’État et le développement durable [1]. Le premier préconise, entre autres, de transférer au Conseil économique et social (CES) la représentation de la société civile à l’époque dévolue au CNDD. Il recommande dans le même temps que le CGP absorbe la DDD et se transforme en Commissariat général au développement durable (CGDD).
En parallèle avec la perspective de l’inscription de la Charte de l’environnement dans la Constitution, Nathalie Kosciusko-Morizet, et un ensemble de députés, déposent une proposition de loi constitutionnelle visant à élargir le champ du CES en Conseil économique, social et environnemental [2]. Nicolas Sarkozy, élu Président de la République, initie le Grenelle de l’Environnement dont les participants retiendront ces recommandations. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 [3] et surtout par la loi organique du 28 juin 2010 [4] intègrent l’environnement dans le champ de l’institution. La consultation du CESE est facultative pour tout texte environnemental mais obligatoire pour les plans ou projets de loi de programmation dans les domaines économique, social ou environnemental. L’article 69 de la Constitution révisée introduit une innovation majeure. Le CESE « peut être saisi par voie de pétition […], après examen de la pétition, [il] fait connaître au Gouvernement et au Parlement les suites qu’il propose d’y donner ».

Dans le même temps, un Commissariat général au développement durable (CGDD) est créé. Mais, il est malheureusement positionné au sein du ministère en charge de l’environnement, ce qui lui ôtera toute possibilité réelle d’arbitrage au sein même du ministère et, a fortiori, en interministériel. Tout aussi malheureusement, le Commissariat général au plan est lui aussi transformé en Conseil d’analyse stratégique (mal nommé CAS). Placé auprès du Premier ministre, il réunit d’autres organismes comme le Conseil d’analyse économique ou le Conseil d’analyse de la société présidé par Luc Ferry. Il faudra attendre la création de France Stratégie et d’un Secrétariat général à la planification écologique, en juillet 2022 pour retrouver l’esprit porté par le rapport ÉQUILIBRES.

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Après 2010, l’avenir du CESE reste incertain

Cette réforme substancielle n’épuise pas les initiatives pour faire évoluer le périmètre, les orientations et les missions du CESE. Dans la prolongation de l’évolution en cours, et en vue de la loi organique nécessaire pour la réforme du CESE, Nicolas Sarkozy, sollicite Dominique-Jean Chertier qui remet son rapport au Président de la République le 15 janvier 2009 [5]. Il prévoit notamment trois scénarios d’évolution de la composition du CESE. Dès le mois de mai 2009, le Sénat, de son côté, confie à sa commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation un rapport d’information (rapporteur M. Jean-Claude Frécon) sur la réforme du CESE [6]. Ce rapport suggère notamment une piste d’économie budgétaire avec la suppression de certains organismes consultatifs au profit d’une « assemblée des experts de la société́ civile ». Parmi eux, est notamment mentionné : le Conseil national du développement durable ; mais également : le Centre d’analyse stratégique et le Centre d’études prospectives et d’informations internationales ; le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale ; le Conseil d’orientation pour l’emploi ; le Conseil d’analyse économique ; le Conseil d’analyse de la société. D’autres auraient, sans doute, pu être également mentionnés, comme le Conseil d’orientation des retraites. Un tel schéma de rationalisation de la réflexion publique aurait tout aussi bien pu être déployé dans le rapport Chertier. Les perspectives modélisées par les experts et prospectivistes administratifs autour du Premier ministre auraient alors pu être débattues par cette assemblée des corps intermédiaires, retrouvant ainsi son rôle « d’Assemblée du premier mot » selon la formule de Jacques Dermagne. Au total, c’est plutôt le scénario 3 du rapport Chertier qui a été retenu, mais sans aucune amélioration de la profusion des organismes de consultation auprès des diverses administrations. Dès lors, le CESE pouvait-il émerger hors de l’ignorance qu’en avait le grand public ?

En interne, la profonde réforme inscrite dans la révision constitutionnelle de 2008 a également du mal à s’incarner. Le sort réservé au projet de « rapport annuel sur l’état de la France » pour 2013 en fournit une illustration. Celui-ci est sensé prolonger, avec un champ élargi à l’environnement, le rapport annuel de conjoncture seul livrable obligatoire des précédentes mandatures. Après deux années de la nouvelle mandature (2010-2015), sa rédaction n’a pas encore trouvé son rythme de croisière. Le bureau du CESE, constitué du représentant de chacun des 18 groupes du Conseil, délibérant plusieurs fois à l’unanimité, crée une commission temporaire, fixe un cadre et une structure pour le rapport 2013, nome son président et son rapporteur. La commission travaille pendant 8 mois, auditionne de nombreux experts et spécialistes, reçoit une contribution de l’Académie des technologies, la collaboration de l’OFCE et réalise un exercice accompagné par la chaire de prospective du CNAM. Lors de la présentation en séance plénière le 8 octobre 2013, pour la première fois depuis plus de 10 ans, le rapport, malgré une majorité relative de voix favorables, n’obtient pas la majorité absolue des votants requise pour être adopté. Le Monde dans son édition du 10 octobre 2013 commente :

Dans l’ambiance feutrée du Conseil économique social et environnemental (CESE), le rapport sur l’état de la France 2013 a déclenché une véritable crise ouverte. Mardi 8 octobre, le texte a été rejeté par un vote en session plénière. Ce document consacre une large place à une vision prospective du développement durable du pays, qui n’y figurait pas les années précédentes. Pour la première fois, les représentants de l’agriculture, des entreprises, de l’artisanat et des professions libérales ont uni leurs oppositions respectives pour regretter, dans une déclaration commune, que ce rapport ne contienne pas "les évolutions souhaitables pour retrouver le chemin de la croissance".
Devant l’offensive de ce bloc inédit, les syndicats de salariés se sont divisés. Quant au groupe environnement et nature (composé de représentants désignés par six ONG), il s’est offusqué de cet "immobilisme face aux enjeux qui touchent déjà l’économie française", et dénonce cette propension à "se retrancher derrière de permanentes revendications de court terme quels que soient les sujets". L’assemblée s’est partagée en 75 voix pour, 62 contre, et 46 abstentions (alors qu’un vote favorable aurait nécessité au moins la moitié des voix des votants).

L’institution peinerait-elle à trouver les voies de compromis pour répondre aux nouveaux défis à relever ? En tout cas, s’emparer de la réforme constitutionnelle de 2008, s’avère plus compliqué qu’imaginé. Faut-il alors s’étonner que de nouvelles propositions fleurissent autour de l’avenir du CESE, mais pas uniquement ?
Le 6 mars 2012, reprenant certaines propositions de la seconde partie du référendum constitutionnel du 27 avril 1969 sur « le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat » qui a conduit au départ du Général de Gaulle, une proposition de loi constitutionnelle, est déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale relative à une meilleure représentativité du Sénat par la fusion avec le Conseil économique, social et environnemental [7]. L’argumentation propose une « évolution de la représentativité du Sénat et la transformation du Conseil économique et social, en une chambre parlementaire aux côtés de l’Assemblée Nationale, […] l’importance prise par les acteurs économiques, associatifs et environnementaux de la société civile, tant au niveau national que local, nécessite qu’ils soient associés plus étroitement aux décisions politiques de notre pays et que leurs voix ne soient plus limitées à une simple voix consultative. ». La proposition est restée sans suite.

Le 9 juin 2023, c’est sur le bureau du Sénat qu’une nouvelle proposition de loi constitutionnelle est déposée pour « Supprimer le Conseil économique, social et environnemental ». L’argumentaire est à charge :

Depuis 1946, notre organisation institutionnelle comporte une « troisième assemblée constitutionnelle ». Il s’agit du Conseil économique devenu Conseil économique et social puis Conseil économique, social et environnemental. Il est censé être l’instrument de ce que l’on appelle aujourd’hui la démocratie participative.
Périodiquement réformée, souvent critiquée mais surtout largement ignorée, cette institution n’a jamais réussi à trouver sa place dans le débat public. Au début de 2009, le rapport Chertier s’ouvrait sur le constat de « l’utilité controversée » du Conseil économique et social et sur son « défaut de représentativité ».
En dépit de la réforme opérée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et par la loi organique du 28 juin 2010, ce constat sévère garde toute sa pertinence.

Cette proposition de loi n’a pas eu plus de suite que celle déposée à l’Assemblée nationale. Elle démontre cependant la récurrence de la question sur la place et le rôle de cette institution. Quelques évènements vont orienter et précipiter les choix.

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Vers plus de démocratie participative

Le mouvement des gilets jaunes, à partir de novembre 2018, a largement surpris les divers responsables. Il traduit notamment un sentiment de défiance à l’égard du fonctionnement des institutions de la République. Le grand débat national qui l’a suivi a mis en évidence un sentiment de distance entre les décideurs publics et les citoyens et le souhait de plus en plus affirmé d’une partie des Français de prendre part plus directement à la décision publique. La Convention citoyenne pour le climat, décidée par le Président de la République en avril 2019 et dont l’organisation a été confiée au CESE a fourni l’occasion d’un exercice de forme délibérative. D’autres initiatives sont prises pour associer des citoyens tirés au sort dans l’élaboration de propositions de politiques publiques [8]. Tous ces évènements et ces essais ont stimulé les réflexions et les échanges publics [9].
Ainsi émergent et sont précisés les points saillants d’une nouvelle réforme du CESE. La loi organique n° 2021-27 du 15 janvier 2021 [10] porte une nouvelle réforme du CESE. Le site du CESE détaille :

La réforme accroît la place de la société civile dans l’élaboration des politiques publiques en faisant du CESE le « carrefour des consultations publiques » et l’institution de référence en matière de participation citoyenne.
Elle vient renforcer la place du CESE dans le débat public et le cœur de sa mission, l’éclairage des pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Le Conseil pourra être saisi par le Gouvernement et le Parlement sur la mise en œuvre de lois relevant de son champ de compétences. Il lui est conféré un rôle de premier ordre dans le cadre de projets de loi portant sur les questions économiques, sociales et environnementales, puisque lorsqu’il sera consulté, le Gouvernement ne procédera pas aux consultations prévues par les textes. Cette loi permet une association plus forte de la société civile organisée, augmentée de la participation citoyenne, à l’élaboration des politiques publiques.
La loi organique institutionnalise la parole de la société civile, la parole citoyenne, en l’associant aux décisions. Le CESE devient l’institution des consultations publiques sur les sujets économiques, sociaux et environnementaux, à sa propre initiative ou à celle du Gouvernement. Il pourra notamment associer à ses travaux des citoyens tirés au sort et organiser des conventions citoyennes.
La saisine du Conseil sur pétitions est modernisée : le CESE pourra être officiellement saisi par voie électronique, 150 000 signatures avec la possibilité pour les jeunes à partir de 16 ans d’être signataires ou lanceurs pétition. C’est une étape décisive pour les citoyens qui dès 16 ans seront en capacité de faire entendre leur voix.
Enfin, l’institution voit sa composition resserrée passant de 233 membres à 175 membres.

La loi organique de 2021 fait notamment évoluer la composition du CESE en donnant une place renforcée aux représentants de la cohésion sociale, territoriale et à la vie associative ainsi qu’à ceux de la protection de la nature et de l’environnement [11]. Elle comporte en outre une procédure pour assurer l’évolution de la composition du CESE au fil des mandatures. Un comité ad hoc est prévu pour proposer, au plus tard six mois avant la fin de chaque mandature, des évolutions de la composition du Conseil. Le rapport Combrexelle [12], est le fruit de ce comité en 2021. Nous ne saurions trop recommander de relire la réflexion de ce comité sur les évolutions de la société française [qui] rendent indispensable la réforme de la composition du CESE.
Une des innovations majeures maintenant dévolue au CESE est évidemment la possibilité de recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence [13]. Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie, retient :

« Si la Convention s’est aussi bien passée, malgré la nature sensible de son sujet, c’est aussi parce qu’elle a bénéficié de la “méthode CESE”, cette façon de construire le consensus dans la bienveillance, en faisant de la nuance une force. Car ce qui est intéressant, c’est que le consensus absolu n’est pas considéré comme une fin en soi : l’important est de réussir à dégager des positions majoritaires de manière apaisée, sans faire fi des positions minoritaires.
Le CESE est l’un des rares lieux où l’on peut produire de la nuance. C’est l’une des seules institutions où nous pouvons échanger avec des gens qui ne pensent pas du tout comme nous, et cheminer ensemble pour trouver des réponses et des solutions. » [14]

Et l’organisation et le déroulement de la Convention citoyenne sur la fin de vie n’a pas empêché le travail ordinaire du CESE. Une commission temporaire Fin de vie du CESE a été créée et s’est articulée à la Convention pour construire des préconisations les plus opérationnelles et concrètes possible.

Une autre innovation intéressante est portée par l’étude sur l’expérimentation d’une méthode de clarification des controverses testée sur Quelle place pour le nucléaire dans le mix énergétique français ? [15] En conclusion :

Cette étude avait l’objectif d’expérimenter une méthode innovante qui pourrait contribuer et sortir des affrontements parfois violents et souvent stériles entre « experts ». De par sa composition et sa capacité à faire dialoguer les parties en présence, le CESE a essayé de démontrer que l’on peut dépasser les postures pour se mettre d’accord sur les principaux clivages, apprendre à s’écouter et commencer à rapprocher les points de vue. Comme le souligne la CNDP, le CESE peut utilement contribuer et participer à l’animation des débats à venir. L’appropriation par le public des enjeux liés aux choix du mix énergétique est absolument indispensable et des méthodes de concertation et de prise de décisions qui permettent de dépassionner les débats seront essentielles à la réussite de la transition énergétique de la France.

On le voit, la loi organique de 2021 et les impulsions données ces dernières années à son travail initient un nouveau cycle pour les services que le CESE peut apporter à notre démocratie. Espérons que la connaissance de nos concitoyens pour sa composition, ses missions et son fonctionnement s’en trouvera encore renforcée [16]. Espérons qu’ils mobiliseront les dispositions nouvellement ouvertes sur les questions les plus pertinentes ? Gardons à l’esprit que ce nouveau cycle pourrait n’être qu’un balbutiement vers une véritable institutionnalisation des conventions citoyennes [17]. Observons avec attention et vigilance ces orientations nouvelles. Aventurons-nous jusque sur la voie de propositions pour de futures évolutions ?

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Un pas de plus vers une démocratie participative des premiers mots

De ces hésitations et étapes récentes émergent quelques rappels, remarques, questions et suggestions :

  • Les doutes sur l’utilité du CESE sont loin d’être levés [18]. Entre suppression et « carrefour des consultations publiques », entre assemblée de la société civile organisée et « assemblée des experts de la société́ civile », on perçoit que le CESE n’est probablement pas au bout des propositions de réforme qui le concerneront ni de ses évolutions. Entre immobilisme et réforme constitutionnelle, y a-t-il place pour des améliorations dans le cadre des dispositions actuelles ?
  • La recherche du consensus et du compromis est loin d’être partagée de façon unanime au sein des responsables publics français. Il n’est qu’à observer les discussions et difficultés pour former un gouvernement et pour arrêter des orientations politiques à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin 2024. Les voies empruntées par la révolution de 1789 et de ses suites nourrissent toujours une bonne partie de l’imaginaire politique de notre pays. L’exercice de la souveraineté s’entend sans limite et peut s’étendre jusqu’à la Terreur. [19].
  • Si l’on retient la définition provisoire de la démocratie participative, selon Loïc Blondiaux, la locution renvoie à

    l’ensemble des dispositifs, politiques, démarches qui visent à associer les citoyens au processus de décision politique. Cette participation peut être plus ou moins directe, plus ou moins inclusive, plus ou moins structurée, mais elle vise globalement à renforcer la légitimité et l’efficacité de l’action publique. [20].

    La réforme du CESE en 2021 est un pas vers plus de démocratie participative avec notamment le test de conventions citoyennes et la désignation par tirage au sort. Cependant, le Parlement n’a pas voulu institutionnaliser les conventions citoyennes [21] ni a fortiori donner au CESE le pouvoir de les initier.

  • Existe-t-il une demande sociale de participation [22] ? La question reste ouverte dans la littérature. Et les outils d’une démocratie participative suffiraient-ils à combler le gouffre qui sépare le peuple des élites dirigeantes ? A l’inverse, certains analystes considèrent que « La délibération, telle qu’elle est organisée par les autorités dans ses dispositifs, tendrait non seulement à reproduire les inégalités sociales mais également à épuiser les conflits en les déplaçant et en les neutralisant. » [23]. Comment, dès lors, pourrait-on amplifier la capacité d’une institution comme le CESE dans la prise en compte des voix de la société civile ?
  • Nombre de nos concitoyennes et concitoyens perçoivent plus ou moins explicitement que les tentatives pour les impliquer dans les choix de politiques publiques restent éloignés des centres où se préparent ces dites politiques publiques. Or « la principale condition de réussite de la démocratie participative reste son articulation au pouvoir politique. Trop de dispositifs participatifs restent déconnectés des lieux où les décisions se prennent réellement et trop d’initiatives échouent faute d’avoir exercé la moindre influence sur les processus politiques sur lesquels elles venaient se greffer. » [24]
  • Nombre de nos concitoyennes et concitoyens savent aussi que l’initiative législative est d’abord entre les mains de l’exécutif qui, pour assurer sa production, a déployé de nombreuses et importantes compétences au sein des diverses administrations centrales : capacité juridiques, techniques, économiques, prospectives, etc. [25] De surcroît, la légitimité de cette voie est symboliquement assurée par la méthode révolutionnaire qui, en France, a permis d’imposer brutalement, la mise en œuvre de réformes qui avaient muries vainement pendant des siècles. Les parlementaires, détenteurs de la souveraineté nationale, imposent les évolutions raisonnables préparées par les élites administratives et politiques [26]. Pourrait-on dans le respect de cette culture politique nationale, faire profit des balbutiements concernant les évolutions du CESE ?
  • Les palinodies récentes de l’ingénierie administrative ont conduit à doter le Premier ministre d’un ensemble d’expertise mobilisable pour la préparation des politiques publiques et notamment des projets de loi. France stratégie est organisé en quatre 4 départements thématiques : Économie ; Travail, emploi, compétences ; Société et politiques sociales ; Développement durable et numérique. Il anime onze organes consultatifs qui lui sont rattachés : Le Conseil national de productivité, La plateforme RSE, Le Conseil d’analyse économique (CAE), le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), Le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE), Le Conseil d’orientation des retraites (COR), Le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), Le Haut Conseil pour le Climat (HCC), Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), Le Haut conseil du financement de la protection sociale, Le Haut Conseil des rémunérations, de l’emploi et de la productivité (HCREP) ? S’est en outre ajouté un autre pôle de coordination avec le SGPE (secrétariat général à la planification écologique). Il serait évidemment vain et dispendieux de vouloir répéter ces compétences techniques auprès d’autres institutions, y compris parlementaires, a fortiori auprès du CESE. En revanche ne serait-il pas envisageable d’organiser un débat plus systématique entre ces organes et des commissions permanentes ou temporaires du CESE, notamment pour l’élaboration des recommandations de politique publique ? [27]
  • La période qui s’ouvre pour quelques années, en l’absence d’une majorité parlementaire stable, risque d’avoir des difficultés à conduire une réforme institutionnelle significative.
  • Faut-il pour autant rester au milieu du gué ? Les travaux et expériences passées pourraient-ils nourrir des propositions d’amélioration des dispositions actuelles ? Entre suppression du CESE et « carrefour des consultations publiques », pourrait-on simplement organiser une meilleure prise en considérations de paroles des citoyennes et citoyens déjà collectées ? Entre assemblée de la société civile organisée et « assemblée des experts de la société́ civile » serait-il envisageable d’élargir le dialogue entre les techniciens préparant les options de politique publique et les voix citoyennes de la société civile organisée ? Entre immobilisme et réforme constitutionnelle, la voix règlementaire pourrait-elle ouvrir un passage pour une meilleure prise en compte des paroles citoyennes ?
  • N’y a-t-il pas là une voie d’amélioration pour la prise en compte des voix citoyennes sans immédiatement mobiliser une réforme constitutionnelle ? N’y a-t-il pas la place pour des propositions compatibles avec la prériode d’incertitude politique ?

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[8En 2019, un groupe de trente citoyens tirés au sort élabore donc un avis qui se voit intégré à celui de la Commission temporaire « Fractures et transitions ». En 2020, un processus très similaire conduit à l’avis « Générations nouvelles » sur la solidarité intergénérationnelle.

[9De la part des présidents et anciens présidents du CESE notamment, Patrick BERNASCONI, Thierry BEAUDET.

[11Il ne faut pas manquer de souligner qu’avec la composition actuelle du CESE, l’offensive du bloc inédit, détaillé par l’article du Monde évoqué plus haut, n’aurait pas abouti et le « rapport annuel sur l’état de la France » pour 2013 aurait été aisément adopté.

[13Article 4.3 de la loi organique nº 2021-27 du 15 janvier 2021 :

« Art. 4-3.-Pour l’exercice de ses missions, le Conseil économique, social et environnemental peut, à son initiative ou à la demande du Premier ministre, du président de l’Assemblée nationale ou du président du Sénat, recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence. Il peut organiser une procédure de tirage au sort pour déterminer les participants de la consultation. A cette fin, il nomme un ou plusieurs garants tenus à une obligation de neutralité et d’impartialité, chargés de veiller au respect des garanties mentionnées à l’article 4-2.
« La procédure de tirage au sort assure une représentation équilibrée du territoire de la République, notamment des outre-mer, et garantit la parité entre les femmes et les hommes parmi les participants.
« Le Conseil publie les résultats de ces consultations et les transmet au Premier ministre ainsi qu’au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat. »

[15Voir le rapport d’activité du CESE pour 2023, mentionné ci-dessus.

[16Une enquête Opinionway pour le CEVIPOF de février 2021 confirme la confiance que les Français placent dans le CESE.

[17Plusieurs projets de loi constitutionnelle ont été déposé dans ce sens mais sans suite jusqu’à présent. Voir notamment le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ou le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique.

[18Voir la proposition de loi constitutionnelle du 9 juin 2023, déjà mentionnée

[19Voir aussi Portrait d’un monde cassé Le Grand Continent - Gallimard — Sous la direction de Giuliano da Empoli

[21Assemblée nationale, Compte-rendu nº 87, Erwan Balanant, 9 septembre 2020 : « il est trop tôt pour institutionnaliser le modèle de la convention citoyenne. Ce n’est d’ailleurs pas du tout ce que nous sommes en train de faire : nous allons adopter un cadre juridique fonctionnel pour l’organisation de consultations par le CESE »

[23Le participatif en actes : quel avenir pour l’injonction à la participation ?. Autre extrait : « L’individualisation de l’expression participe d’un processus plus général d’affaiblissement des groupes organisés, dépossédés ainsi de leur statut d’interlocuteurs légitimes du pouvoir. L’attrait pour les « mini-publics », ces panels de citoyens tirés au sort, extraits de leurs attachements sociaux et mis en situation de délibération hors de toute influence extérieure et indépendamment de toute affiliation politique, participerait lui aussi de cette entreprise de dépolitisation par la participation institutionnelle (Lafont, 2019). »

[24Loïc Blondiaux, Le participatif en actes déjà mentionné

[25Chez de nombreux citoyens ainsi que chez les professionnels de la politique, continue à prévaloir une vision dans laquelle le pouvoir et la légitimité doivent rester l’apanage des élus. Cette vision de la représentation politique dans laquelle, une fois élu, le représentant peut se substituer à ceux qu’il représente et "incarne" ainsi que gouverner sans les consulter, reste prédominante en France., Loïc Blondiaux, Le participatif en actes déjà mentionné.

[26Toujours selon Loïc Blondiaux : « La loi de 2020 relative à l’accélération et à la simplification de l’action publique (ASAP) et ses décrets d’application risquent, selon différents observateurs, d’aboutir à une "régression significative" du droit à la participation (avis de la CNDP du 3 mars 2021). Au nom de l’efficacité, de la réduction des délais et de la simplification, il se peut que nous assistions à un rétrécissement progressif de ce droit à la participation encore fragile. »

[27N’oublions pas que le CESE a en mémoire une coopération effective avec France Stratégie, à l’occasion de la mise en œuvre de la loi Eva Sas, promulguée le 14 avril 2015, qui donne obligation au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport présentant l’évolution de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable. Rapport du gouvernement sur les nouveaux indicateurs de richesse largement inspiré des travaux du CESE et de France Stratégie

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