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Replis territoriaux - une résistible ascension à débattre

Pour les choix de l’affectation des sols, des cultures, de nos alimentations, les territoires ont-ils réponse à tout ?

vendredi 8 mai 2020, par André-Jean

Le Développement durable a-t-il été, comme certains l’ont affirmé dès le début de la diffusion de ce concept, un oxymore trompeur ? Faut-il se préparer à un effondrement du monde [1] ? Ou bien, pouvons-nous encore avoir l’ambition de « Penser globalement, agir localement » ?

Les récentes décennies ont vu une formidable libéralisation des échanges et du partage de biens et de services, de capitaux et de travail, de cultures et de valeurs. Les bienfaits de cette mondialisation n’apparaissent plus avec évidence. Ils laissent la place à l’effroi provoqué par les films enchainant les séquences de crises humanitaires, énergétiques, environnementales, sociales, financières, économiques, sanitaires, de notre début de 21ème siècle. Face à une accélération [2] qui précipiterait le monde à sa chute, les échappatoires convergeraient-elles vers le local ?

La question, murmurée d’abord à bas bruit, est devenue audible avec les années. La réponse s’imposerait-elle à présent ? Parmi les innombrables initiatives qui fleurissent sur le terreau de la crise sanitaire, Nicolas Hulot veut « relocaliser notre agriculture » [3] ; The Shift Project [4] suggère de « Construire des systèmes alimentaires territoriaux ». Ces appels émergent d’un fond de réflexions qui accumule les collaborations et les études. L’INRAE organise un colloque en novembre 2019 que Philippe Mauguin inaugure en affirmant : « La reterritorialisation de l’alimentation est un sujet qui gagne en importance… » [5]. Les projets alimentaires territoriaux ont pour objectif de relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires [6]. Le CGEDD et le CGAAER, articulent l’approche paysagère (c’est à dire territoriale) et la transition agro-écologique [7]. L’Académie d’Agriculture de France attire l’attention sur la nécessaire territorialisation des pratiques et des politiques [8]

Pour autant, tous les problèmes seraient-ils solubles à l’échelle la plus grande ? Nos réponses collectives devraient-elles court-circuiter tous les autres niveaux ? Croiser les regards, entendre la différence ou la complémentarité des approches et des disciplines, organiser les débats loin des feux de la rampe, pourraient-il nous aider à en juger ?

La sécurité alimentaire, aux diverses échelles, du local au monde, n’exigerait-elle pas des productions excédentaires ? La garantir dans chaque territoire, sans foisonnement, ne risquerait-il pas d’accroître pertes et gaspillages ? Les insécurités alimentaires à l’échelle mondiale n’auraient-elles pas été réduites par les infrastructures collectives de stockage et de transport mettant en relation les territoires et les périodes ? Géographes et historiens, notamment, pourraient-ils aider à discuter les bons niveaux et moyens de réponse ?

Les avantages compétitifs territoriaux, les économies d’échelle dans les process de production-transformation-distribution recouvreraient-ils des concepts purement théoriques, uniquement attachés à une vision libérale et sans fondement matériel ? Des économistes pourraient-il aider à préciser les hypothèses, souvent implicites, qui justifient les processus de décision et les choix collectifs ?

Des productions agro-alimentaires à label offreraient-elle une garantie inconditionnelle de capter une plus grande part de la valeur ajoutée ? Les circuits courts de distribution et les consommateurs locaux suffiraient-ils pour les absorber ? La sociologie pourrait-elle aider à y plus clair ?

Le respect des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat en 2015 imposent de mobiliser davantage à la fois la production de biomasse pour se substituer en partie au carbone fossile et les modes de production végétale pour stocker davantage de carbone [9]. A quelles échelles l’organisation de la production de ces commodités et aménités doivent-elles s’établir et avec quels instruments de pilotage et de contrôle ? Les prix sont-ils le bon levier pour orienter leurs déploiements [10] ? Comment affecter l’utilisation des sols entre cultures alimentaires, industrielles et forestières ? Chaque territoire pourrait-il devenir autonome pour ces productions-transformations ? Comment les divers niveaux de compétence et de responsabilité pourraient-ils interagir pour optimiser les moyens à déployer ? Des juristes n’aideraient-ils pas à éclairer ces questions ?

Le Grenelle de l’environnement en 2008 a retenu une hiérarchie des usages des productions de biomasse. La consommation alimentaire deviendrait-elle une priorité catégorique alors qu’il y a plus de souffrances en France et dans le monde causés par les excès alimentaires et les déséquilibres nutritionnels que par les manques de nourriture [11] ? Les paysages ouverts aux ruminants seraient-ils systématiquement préférables à des productions de bois d’œuvre remplaçant des matériaux dont la fabrication émet des GES [12] ? Les réflexions philosophiques pourraient-elles enrichir les controverses d’ores et déjà ouvertes ?

Ces exemples illustrent nos interrogations. D’autres manquent qui pourraient concerner la sécurité sanitaire ou l’équilibre nutritionnel de nos alimentations, l’opportunité et la construction de infrastructures régionales de transport, d’irrigation, etc. Pourquoi occulterions-nous la variété des interactions entre les territoires à diverses échelles et horizontalement entre eux ? Ne pourrions-nous, en même temps, devenir locavore et renforcer le filet de sécurité du programme alimentaire mondial ? Soutenir les circuits courts ou équitables et permettre au plus grand nombre d’accéder à des agro-carburants économes en émissions de GES ? Favoriser l’émergence de nouvelles approches locales sans jeter l’eau du bain mondial dans laquelle chacun des territoires est maintenant plongé ? L’une des formules de Rio-92 : « Penser globalement, agir localement » deviendrait-elle obsolète ? Le bonheur est dans le pré avons-nous réappris dès avant le début de ce siècle. Faudrait-il en conclure que les jours heureux ne pourraient venir qu’au contact de La Terre, [qui] elle, ne ment pas,... ? L’intrication des territoires, les articulations à ménager entre eux ne justifieraient-elles pas un solide travail collectif ?


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[1Yves Cochet, ancien ministre de l’écologie, s’attend avec certitude à « un effondrement global du monde ». Il conseille de s’organiser « dans une maison à la campagne ». Son interview, accordée en juillet 2019, est accessible ici

[4Face à la crise climatique, TSP, le 6 mai 2020, lance un chantier d’urgence « VERS UN PLAN DE TRANSFORMATION DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE » qui, pour décarboner le système alimentaire et le rendre plus résilient, veut explorer trois axes principaux : relocaliser les filières, massifier les pratiques agroécologiques, multiplier le nombre d’actifs agricoles.

[5Le 28 novembre 2019, l’INRAE organise le colloque pour « Construire des systèmes alimentaires territoriaux »

[6Relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires en soutenant l’installation d’agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines, tel sont les objectifs assignés aux projets alimentaires territoriaux (PAT). Issus de la Loi d’avenir pour l’agriculture qui encourage leur développement depuis 2014, ils sont élaborés de manière collective à l’initiative des acteurs d’un territoire (collectivités, entreprises agricoles et agroalimentaires, artisans, citoyens etc.)

[7Sous le double timbre du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et de celui de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), le rapport L’approche paysagère accélératrice de la transition agro-écologique a été publié le 9 mars 2020. Il étudie l’inflexion ou la mise en place des outils de politiques publiques, mettant en avant l’approche paysagère comme facilitatrice de cette transition et devant être guidés par trois principes : la prise en compte affirmée des liens humains entre agriculteurs, forestiers et autres acteurs du territoire ; un ancrage territorial intégrant les spécificités locales, que ce soit dans le domaine agronomique, géographique, économique ou en termes de gouvernance ; une démarche de projet ascendant élaborée par les acteurs des territoires pour favoriser le changement des pratiques et ses conséquences sur le paysage.

[8Mentionnons :

  • Groupe de travail TAFT et son rapport Transition alimentaire : pour une politique nationale et européenne de l’alimentation durable orientée vers les consommateurs, les filières et les territoires — 03/10/2019 Le rapport analyse « Le concept de transition alimentaire » dans ses diverses significations actuelles. Il observe notamment p. 6, dans « Alimentation durable et territoires »

    Le lien entre alimentation et territoires occupe une place croissante dans les réflexions sur la transition alimentaire. Les systèmes alimentaires alternatifs de demain seront fondés sur une triple proximité. En premier lieu, une proximité entre productions agricoles alimentaires et nonalimentaires issues de la biomasse. En second lieu, entre les matières premières et la transformation industrielle. Et enfin, par la réduction du nombre d’intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs (circuits courts). Ces proximités conduisent à une organisation en réseaux maillant le tissu encore dense des TPE (dont les exploitations agricoles) et des PME artisanales, industrielles et commerciales du système alimentaire. Cette nouvelle configuration des espaces pourra prendre la forme de « clusters de bioéconomie circulaire », dans un cadre géographique territorial.

  • Le groupe sur les sols présidé par Christian Valentin a conclu son travail par un avis du 12/12/2018 Vers une gestion territoriale des sols. Il recommande au premier chef une « Gouvernance territoriale des sols » susceptibles de prendre en compte les « entités agronomiques et environnementales fonctionnelles et opérationnelles, … »
  • Sur la PAC 2020, le groupe de travail présidé par Gilles Bazin, a produit le 30/03/2017 le RAPPORT : Quelle PAC pour quelle agriculture ? Synthèse des propostions du groupe "PAC 2020”. Dès la p. 2, il justifie la nécessité de la PAC avec, notamment, « Des enjeux environnementaux, territoriaux et climatiques » et la nécessité que « Le développement de systèmes plus diversifiés et plus durables dans des filières valorisantes et territorialisées devrait devenir une priorité de la future PAC. »

[9Voir sur ce site la traduction du rapport du GIEC Changement climatique et terres - traduction en français

[11Voir le rapport des trois conseils généraux de l’agriculture, de l’environnement et de l’économie sur Les usages non alimentaires de la biomasse

[12Cette question se pose déjà avec des reboisements en Irlande ou dans le Massif central

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