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Quand les transitions ne sont plus une option
Pertes et gaspillages
Faut-il regarder au-delà de nos poubelles ?
mercredi 22 janvier 2025, par
Les pertes et gaspillages alimentaires sont bien repérés et des actions pour les réduire sont promues aux échelles nationales, européennes et internationales depuis plus d’une dizaine d’années. Aurons-nous à manger demain ? nous interrogions-nous en 2015. La production alimentaire, même à l’échelle mondiale, semblait suffire. La prudence n’en apparaissait pas moins nécessaire pour Nourrir le monde... et mieux en réduisant notamment les Gaspillages et pertes alimentaires, mais déjà aussi en interrogeant des choix collectifs en faveur de certaines consommations qui, pire que gaspillées, étaient déjà bien identifiées comme néfastes.
Dix ans plus tard, l’Académie d’Agriculture de France initie un groupe de travail sur "Pertes et gaspillages". A l’heure où les transitions liées aux changements climatiques et où les recours accrus à la biomasse n’apparaissent plus comme une option, quelle extension faut-il donner au champ de ce groupe de travail.
Pertes et gaspillages alimentaires — Sommaire
- Sommaire
- Introduction
- Contexte
- Pertes et gaspillages alimentaires
- Ou plus largement pertes et gaspillages de chances
- Questionnement
Contexte
En une dizaine d’années, la réalité des changements climatiques est devenue une opinion largement partagée. Même si l’attribution précise de ces changements aux activités humaines fait encore débat, les États se sont entendus, dès 2015 sur un accord international de façon à maitriser les émissions de gaz à effet de serre (GES) et limiter les conséquences de réchauffements excessifs. L’Union européenne et la France ont ratifié l’Accord de Paris. Elles ont déployé des politiques publiques dans cet objectif. La Stratégie Française Energie-Climat publiée en 2023 débouche sur l’élaboration de deux projets de document programmatique mis en consultation en novembre 2024 : la stratégie nationale bas carbone (SNBC-3) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).
L’objectif 2 est d’Accroître la production d’énergie décarbonée et dans ce but, entre autres, Mobiliser la biomasse pour répondre à nos besoins en énergie sans remettre en cause la priorité donnée à l’alimentation et à la protection de l’environnement. A noter cependant que les documents ne précisent pas quelle extension et quelles limites il convient de donner aux priorités alimentation et protection de l’environnement. Nous y reviendrons.
L’Académie des technologies associée à celle de l’Agriculture a initié en 2024 un groupe de travail sur les ressources et les utilisations énergétiques de la biomasse. Leur rapport devrait être publié avant l’été 2025. Dès à présent toutefois, la première partie du rapport laisse entendre, comme d’autres travaux auparavant, que les demandes de biomasse pour diverses utilisations au-delà de la priorité alimentaire et de la protection des écosystèmes, comme les matériaux (construction, etc.), la matière première (papier, carton, chimie biosourcée, etc.), l’énergie (bois de chauffage, biocarburant, biogaz, etc.) excéderont sensiblement les capacités de production dès 2030 et a fortiori en 2050 et au-delà.
Les orientations retenues dans la Stratégie Française Energie-Climat demanderont des efforts et des adaptations spécifiques à chaque secteur d’activité. L’agriculture y a une place particulière : i) la production agricole est particulièrement sensible aux évolutions des changements climatiques, ii) elle est à la source d’environ 18 % des émissions de GES, iii) elle recèle des possibilités non négligeables d’absorption et séquestration de carbone organique, iv) elle est susceptible de fournir (et fournit déjà) des produits qui, se substituant à d’autre fabriqués à partir de carbone fossile, contribuent à réduire les émissions dans d’autres secteurs d’activité. Cette sensibilité ainsi que les diverses fonctionnalités qu’elle peut remplir incitent à envisager une grande variété de scénarios pour l’évolution de l’agriculture dans les décennies à venir. Ainsi peut-on lire les travaux de Solagro, de l’IDDRI, du Haut Conseil pour le Climat (HCC), ou encore de l’ADEME ou de The Shift Project (TSP) ou d’autres encore qui fondent leur vision du respect des engagements de réduction des émissions de GES de la France sur des "bouclages" carbone mobilisant l’agriculture et la forêt .
Ce faisant, on voit émerger les arbitrages qui vont pouvoir se poser entre les affectations des divers facteurs de production (terres agricoles et forestières, eau, etc.). Une partie de ces arbitrages se feront sans doute comme aujourd’hui par les prix et les coûts de production et de vente. Il est probable aussi que dans un régime de tension déjà annoncé, une partie de ces arbitrages devra résulter de choix collectifs et de politiques publiques.
C’est dans ce vaste champ que devrait se situer les réflexions sur les pertes et gaspillages. Et dans ce vaste champ, les pertes et gaspillages ne devraient-ils pas s’entendre au-delà du seul domaine alimentaire ? Ne devraient-ils pas s’étendre aux pertes et gaspillages de productions et facteurs de production sous priorité des choix collectifs et politiques publiques ?
Pertes et gaspillages alimentaires
L’INRAE a réalisé une étude évaluant les pertes des filières végétales (céréales, protéagineux et oléagineux, fruits, légumes et pommes de terre) et animales (lait et œufs, viandes, poisson) en France. L’institut en résume les conclusions dans une infographie. L’analyse montre une répartition variée des pertes selon les produits et aux différentes étapes de la production à la distribution. En 2024, le service des données et études statistiques du ministère des territoires, de l’écologie et du logement a publié une étude sur Les déchets alimentaires en France et dans l’Union européenne en 2021. Ce document complet donne aussi les diverses acceptions des termes de gaspillage alimentaire pour les législations européenne et française. Le site du ministère de l’agriculture détaille les outils, notamment législatifs, pour lutter contre le gaspillage alimentaire en France.
Ou plus largement pertes et gaspillages de chances
Détaillons la question formulée plus haut. Nous nous intéressons à la l’agriculture, à la biomasse et les produits qu’on en tire, à la possibilité de réduire les émissions de GES et d’en absorber une partie. N’est-ce pas sur l’ensemble de ces fonctions qu’il convient d’examiner la question des pertes et gaspillages ?
Sur les seuls pertes et gaspillages de produits alimentaires, faut-il intégrer les pertes de récolte provoquées par les accidents climatiques ? Par les maladies des cultures ? Par le vieillissement des stocks nécessaires pour la sécurité alimentaire ? Etc.
La lutte contre les émissions de GES qui contribuent aux changements climatiques et l’éventuelle raréfaction des ressources en énergies carbonées fossiles (forcément limitées) conduisent à prévoir une utilisation accrue de la biomasse et de ses produits dans les process industriels et dans les consommations. Les pertes et gaspillages alimentaires induisent non seulement une réduction des productions et du bien-être, mais également une perte de ressources qui auraient permis d’autres activités ou consommations. Les productions et utilisations alimentaires sont considérées comme prioritaires par rapport à toutes autres. Cela doit-il être toujours le cas ? Pour répondre aux besoins physiologiques vitaux de populations nationales ou mondiales cela paraît indiscutable et validé par les valeurs internationales partagées (droits de l’homme, droit à l’alimentation, solidarité, etc.). S’il s’agit de consommations alimentaires considérées comme luxueuses, voire excédentaires, ne doit-on pas réserver les choix à des arbitrages individuels ou à des choix collectifs (politiques) ?

Allons plus loin, au risque de heurter.
Faut-il intégrer dans le périmètre de travail des productions qui sans être ni perdues, ni gaspillées, sont pires, car néfastes : tabac (près de 70 000 morts attribués par an en France), alcool (près de 50 000 morts attribués par an en France), etc ? La libération des surfaces affectées à ces productions (faibles pour le tabac, mais importantes pour la vigne) permettrait pourtant des productions alternatives de bois ou d’autres produits de biomasse susceptible de se substituer à des ressources carbonées fossiles. Boire ou conduire, le choix deviendrait-il celui du récipient dans lequel on verse l’alcool : son verre ou son réservoir ?
L’Étude sur la création de valeur et les coûts sociétaux du système alimentaire français de « Basic » publiée en novembre 2024 soulève-t-elle des questions de pertes et gaspillages ? Les 48 Mds€ de soutiens publics apportés en 2021 au système alimentaire ne favorisent-ils pas les pertes et gaspillages et pire, des comportements alimentaires néfastes à la santé et au bien public ? Peut-on se satisfaire que près de la moitié de la population française souffre des conséquences d’un surpoids ou d’obésité [1].
Guillaume Sainteny, dans un rapport du Centre d’analyse stratégique de 2012, avait détaillées les aides publiques dommageables pour l’environnement. Les aides publiques ne pourraient favoriser parfois des consommations et attitudes délétères ? Des taux de TVA réduits et super-réduits sur les consommations alimentaires sont-ils toujours opportuns, alors même qu’ils réduisent les coûts alimentaires et les contributions fiscales d’abord pour les ménages les plus favorisés ? Le Danemark, pourtant reconnu pour des politiques sociales au moins aussi ambitieuses que notre pays, a un taux uniforme de TVA de 25% y compris sur les produits alimentaires. Quelles recettes fiscales pourraient-elles venir d’un tel taux en France ? La TVA est, certes, un impôt régressif sur les revenus disponibles. Mais, de telles recettes ne pourraient-elles financer de généreuses aides sociales pour les ménages en précarité alimentaire en les accompagnant de programmes d’éducation nutritionnelle pour toute la population ?
Questionnement
Autrement dit, dans un contexte ou les transitions dans divers domaines ne sont plus une option, le sujet des pertes et gaspillages ne doit-il pas être appréhender avec toutes ses dimensions politiques, c’est à dire en formulant les choix de société qu’il mobilise ou qu’il cotoie ? Quitte ensuite à focaliser l’attention sur des aspects plus limités. Faut-il être politiquement correct ? Ou faut-il prendre le risque de préciser les choix collectifs que soulève ce sujet ?
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[1] Étude évoquée par l’INSERM dans un article publié en 2023 : [[Obésité et surpoids : près d’un Français sur deux concerné. État des lieux, prévention et solutions thérapeutiques et selon l’OMS, en 2021, le surpoids et l’obésité seraient responsables de 1,2 millions de décès chaque année en Europe.
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