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La biosphère absorbe du dioxyde de carbone atmosphérique

Bioatténuation

Pistes pour contribuer à la maîtrise du réchauffement climatique

vendredi 31 août 2018, par André-Jean

Cette note a été établie par André-Jean Guérin et Jean Jouzel pour une fiche de l’Académie d’Agriculture de France. Nous remercions Valérie Masson-Delmotte pour ses suggestions et précisions.
La biosphère contribue à atténuer les concentrations de gaz à effet de serre qui sont à l’origine du réchauffement que nous connaissons depuis l’utilisation massive des combustibles fossiles. Cette note signale quelques pistes pour mieux utiliser cette propriété.

Changements climatiques — de quoi s’agit-il ?

Les composantes du systèmes climatique dont les interactions déterminent sous l’effet du rayonnement solaire, le climat de la planète, incluent l’atmosphère, l’océan, la cryosphère, et les surfaces continentales. L’énergie reçue est absorbée différemment par les diverses composantes. Les océans représentent le principal réservoir de la chaleur capturée et d’humidité. Ils l’échangent principalement avec l’atmosphère. La position des courants marins et leur température de surface influent sur une grande partie du climat. Les continents et surtout le relief introduisent des barrières physiques à ces échanges qui modifient grandement la distribution des précipitations, de la chaleur et de la végétation. [1]
Si les climats ont sans aucun doute changé tout au long de l’histoire de la Terre, aujourd’hui, ce sont les changements induits par les activités humaines qui nous préoccupent. Selon une enquête réalisée par IPSOS en France en mai 2015, les interviewés, pour 93 % d’entre eux, pensent qu’on est en train de vivre une période de réchauffement climatique. Ils sont même 43% à déclarer que ce réchauffement climatique est « certain » [2]. Une enquête réalisée à la demande d’AXA en octobre 2012 montrait que ce sentiment n’était pas nouveau et qu’il était largement partagé en Amérique, Asie et Europe [3].
L’ « effet de serre » associé à notre atmosphère est connu depuis plus de 200 ans avec les travaux de Horace-Bénédict de Saussure en 1780 et Joseph Fourier en 1824. En 1896, le chimiste suédois Svante August Arrhenius estime l’incidence du gaz carbonique (dioxyde de carbone ou CO2) sur la température terrestre. Il en conclut qu’un doublement de son taux de présence dans l’atmosphère conduirait à un réchauffement climatique de 4°C à 6°C, ce qui n’est pas très éloigné des prévisions actuelles réunies par le GIEC [4]. Dans le même temps, le géologue américain Thomas Chamberlin émet l’idée que les climats pourraient varier avec les changements dans la concentration de dioxyde de carbone atmosphérique [5].
Claude Lorius [6] a eu l’idée que les bulles d’air emprisonnées depuis des centaines de milliers d’années dans les calottes glaciaires pouvaient révéler les climats passés. Avec son équipe, il a démontré la réalité des changements à l’œuvre et le rôle récent des activités humaines sur la composition de l’atmosphère.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [7] a été créé en novembre 1988, à la demande du G7, par deux organismes de l’ONU : l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). C’est un organisme intergouvernemental, qui « a pour mission d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les risques liés au réchauffement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation. »
Le GIEC produit tous les six ans un rapport d’évaluation en trois volumes sur les changements climatiques. Le cinquième Rapport d’évaluation, adopté en 2014 a permis de nourrir les négociations qui ont abouti à l’accord international sur le climat adopté à l’unanimité le 12 décembre 2015 à Paris à l’issue de la COP 21 [8]. Cette dernière a invité le GIEC à produire, pour la COP 24 en 2018, un rapport spécial sur les impacts du réchauffement climatique de 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels, soit environ 0,5°C au-dessus de la température moyenne des 5 dernières années.
Au fil des rapports d’évaluation successifs, le GIEC accorde une place accrue au rôle du « secteur des terres » [9] dans les contributions qu’il apporte aux changements climatiques. Lors de sa réunion d’avril 2016 à Nairobi, le GIEC a décidé de préparer un rapport spécial sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des terres, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire, et les flux de gaz à effet de serre (GES) dans les écosystèmes terrestres. Ce rapport devrait être disponible en 2019.

Rôle de la vie et plus particulièrement des végétaux et de la photosynthèse

Evolution de la concentration atmosphérique du CO2 de 1958 à 1988
Sources : Keeling et al., 1989, Vitousek, 1994, Schimel et al., 1995, Jarvis (1989).

Depuis 1957, la concentration atmosphérique de CO2 fait l’objet d’un suivi précis à l’observatoire de Mauna Loa à Hawaii. L’augmentation graduelle de la concentration atmosphérique de CO2 suit un cycle qui comporte annuellement un maximum et un minimum. Ce cycle annuel est attribuable à l’activité́ saisonnière de la végétation terrestre de l’hémisphère nord, essentiellement les forêts tempérées et boréales de l’hémisphère nord.
Le rôle de la biosphère, plus particulièrement de la végétation et des forêts dans la concentration en gaz à effet de serre de l’atmosphère est donc connu depuis des décennies.
Moins connu est le stockage ou le déstockage de carbone qui résulte de l’activité des êtres vivants et des écosystèmes. Certes, on sait que les centaines de milliards de tonnes de carbone séquestrées dans les combustibles fossiles, lignite, charbon, pétrole, gaz naturel, etc. sont le fruit de l’accumulation de cadavres de végétaux et d’animaux. En revanche, la mesure des stocks de carbone retenus actuellement dans les organismes vivants, dans les sols et les écosystèmes est un exercice difficile et dont les résultats sont discutés.
Le GIEC fournit une représentation imagée des échanges de carbone sous forme de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et l’océan et des stocks de carbone organique dans la végétation, les sols et les réserves de carbone fossile.

Cycle du carbone à l’échelle mondiale
Cette figure schématise de façon simplifiée le cycle du carbone à l’échelle planétaire. Les nombres représentent, en noir, les réservoirs, ou stocks de carbone, en PgC (1015gC = milliard de tonnes de carbone) et, en rouge, les flux d’échange (en PgC par an).
Ce schéma est tiré du cinquième rapport d’évaluation du GIEC, groupe de travail n° 1 (AR5-WG1), Fig6-01

Ce graphique montre que le premier réservoir de carbone, et de très loin, est dans l’océan mondial. Mais les sols arrivent ensuite.

Quelques ordres de grandeur à l’échelle du monde

Parmi les gaz à effet de serre émis en lien avec les activités humaines, les principaux sont notamment le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). Ces deux derniers proviennent pour beaucoup du secteur des terres (AFOLU) avec l’élevage de ruminants, et les zones humides dont les rizicultures inondées pour CH4 et les engrais azotés pour N2O. Si l’on ajoute les émissions de dioxyde de carbone (CO2) qui résultent de la conversion des prairies permanentes et des forêts ainsi que de l’artificialisation des terres, le secteur AFOLU est source de 24 % des émissions anthropiques de GES [10]. Les sols et la végétation grâce à l’énergie solaire, séquestrent en moyenne sur la période 2007-2016 un flux de 3 (± à,0,8) GtC (milliards de tonnes de carbone) chaque année, capté à partir du dioxyde de carbone de l’air. Toutefois, cette activité de puits de carbone est réduite par les émissions anthropiques liées à l’usage des terres s’élevant à 1,3 (± 0,7) GtC dans le secteur AFOLU provenant principalement des déforestations et changement d’usage des sols [11]. Le puits résiduel, de l’ordre de 1,7 GtC/an (avec de fortes incertitudes) est largement débordé par les émissions liées à l’agriculture et l’élevage.
La comparaison des stocks et des flux de carbone entre compartiments révèle toutefois certains potentiels. Après les océans, les sols constituent le deuxième réservoir avec 1 500 à 2 400 milliards de tonnes de carbone. Avant même les réserves fossiles, ils contiennent 3 à 5 fois le carbone compris dans la végétation où dans l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone (CO2). Des considérations plus précises, mais débouchant sur les mêmes ordres de grandeur ont présidé à « L’initiative 4‰ » [12] lancée par le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, lors de la préparation de la COP 21 : Un taux de croissance annuel du stock de carbone dans les sols de 0.4%, soit 4‰ par an, permettrait de stopper l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère liée aux activités humaines.
Il s’agit d’une des pistes pour réduire les émissions de GES du secteur des terres et augmenter la séquestration du carbone auquel il pourrait contribuer.

Et pour l’Europe et la France

En juillet 2013, l’INRA a rendu publique une étude sur « Quelle contribution de l’agriculture française à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? » [13].
En février 2015, dans la perspective de la COP 21, le Conseil général de l’agriculture de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) a élargi le champ de l’examen à la forêt et à l’alimentation [14]. Parmi les leviers et potentiels d’atténuation du secteur des terres en France, il inclut notamment les réductions d’émission qui peuvent résulter de la substitution de matériaux dont la production est cause importante d’émissions par des matériaux issus de produits forestiers qui en outre vont assurer une séquestration du carbone dans la durée. L’exemple le plus emblématique est l’utilisation accrue du bois dans le bâtiment.
The Shift Project a publié un Manifeste pour décarboner l’Europe au printemps 2017. Il l’a assorti de 9 propositions pour que l’Europe change d’ère [15]. L’une concerne l’agriculture et l’alimentation, une autre la forêt. La piste ajoutée par cette approche est de prendre en compte une évolution des modes alimentaires. Compte tenu du poids de l’élevage dans les émissions directes et indirectes de GES et des recommandations sanitaires et nutritionnelles concernant la consommation de produits animaux, il apparaît raisonnable de vouloir prolonger les tendances actuelles d’une réduction de près de 2 % par an de la consommation de produits animaux dans la diète des consommateurs européens. Il est alors possible d’envisager des productions de qualité qui valorisent les pâturages et utilisent moins les récoltes des grandes cultures (blé, maïs, orge, notamment).
Une esquisse des estimations des potentiels d’atténuation qui pourraient provenir du secteur des terres a été tentée à partir de ces diverses approches.
Pour la France l’estimation se situe entre 50 et 76 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an à l’horizon 2030, soit 1/3 à 1/2 de l’objectif national d’atténuation à cette échéance. Pour l’Europe et à l’horizon 2050, les seules réductions des gaspillages alimentaires et de consommation de produits animaux pourraient générer un total de 230 à 310 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an, soit 7 à 10 % de l’effort restant pour une division des émissions de l’UE par 4. Les chiffres du GIEC permettent en outre une estimation mondiale à l’horizon 2050 de 8 000 à 19 000 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an, soit les 2/3 et plus que le solde des émissions anthropiques net des puits océaniques et terrestres actuels. De tels volumes peuvent paraître modestes aujourd’hui. Toutefois, ils constitueraient un apport essentiel dans l’espoir des objectifs de l’Accord de Paris. [16]


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Des compléments peuvent être trouvés sur ce site et notamment dans les articles suivants :


[1Extrait de Wikipédia Climat

[4Voir note sur le GIEC plus bas

[5En 1899, Thomas Chamberlin publie : « An Attempt to Frame a Working Hypothesis of the Cause of Glacial Periods on an Atmospheric Basis »

[6Voire le site de Claude Lorius ici

[7Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat — en anglais IPCC pour Intergovernmental Panel on Climate Change. Site Internet du GIEC

[9Le « secteur des terres » recouvre essentiellement les terres cultivées, les pâturages, les forêts et les espaces naturels non exploités. Dans la nomenclature des conventions concernant les changements climatiques il est affublé du sigle « AFOLU » pour : agriculture, forest and land use.

[10GIEC, rapport d’évaluation du groupe 3 (WGIIIAR5_SPM_TS_Volume.pdf), p. 9.

[11Voire : Global Carbon Project (Le Quéré et al 2017).

[12Voire le site Internet

[14Les contributions possibles de l’agriculture et de la forêt à la lutte contre le changement climatique, CGAAER, février 2015.

[15Le Manifeste pour décarboner l’Europe et les 9 propositions pour que l’Europe change d’ère sont accessibles à l’adresse

[16Pour l’ensemble des chiffres, voire sur ce site L’intelligence du vivant pour le climat et en particulier l’esquisse d’une estimation

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