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OGMs dévoilés

Grace à la Cour de justice de l’Union européenne

mercredi 12 septembre 2018, par André-Jean

Dans un précédent article sur OGMs cachés — que cachent-ils ?, il était évoqué une décision à venir de la Cour de justice de l’Union européenne [1]. Or l’arrêt du 25 juillet 2018 mérite attention. Il actualise certaines des questions. Renouvelant la clarté sur la nature des OGMs en Europe, il appelle de nouvelles interrogations.

Sommaire

Analyse de la décision de la Cour

L’analyse du recours déposé par les ONGs et les réponses apportées imposent d’entrer dans des considérations techniques même en simplement survolant chacune des étapes :
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Recours d’ONGs
Face au refus d’abroger la disposition nationale selon laquelle les organismes obtenus par mutagenèse ne sont, en principe, pas considérés comme donnant lieu à une modification génétique et d’interdire la culture et la commercialisation des variétés de colza rendues tolérantes aux herbicides, obtenues par mutagénèse, un recours est déposé par neuf d’ONGs françaises auprès du Conseil d’État à l’encontre de décisions du Premier ministre et du Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. La question concernait tout particulièrement la possibilité pour des plantes et semences obtenues par mutagénèse dirigée mettant en œuvre des nouveaux procédés de génie génétique [2] d’être exemptées des mesures de précaution, d’évaluation des incidences et de traçabilité qui sont prévues par la directive européenne 2001/18/CE du 12 mars 2001 [3] comme pour les organismes et semences génétiquement modifiés obtenus par les méthodes conventionnelles de mutagénèse aléatoire utilisant des rayonnements ionisants ou une exposition à des agents chimiques mutagènes, méthodes qui existaient bien avant l’adoption de ces textes ?
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Demande de décision préjudicielle
La décision du Conseil d’État nécessitant l’interprétation d’un texte européen, celui-ci a sollicité la Cour de justice de l’Union européenne par une Demande de décision préjudicielle [4], datant du 17 octobre 2016.
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Conclusions de l’avocat général
Rendues le 18 janvier 2018, ces conclusions [5] semblaient plaider en faveur d’une exemption des obligations prévues par la directive sur les OGM pour les plantes génétiquement modifiées (PGM) obtenues par mutagénèse quelque soit la technique de mutagénèse, en particulier sans considération d’ancienneté ou de nouveauté de la technique utilisée.
Il n’en rappelle pas moins nettement qu’un organisme obtenu par mutagénèse est bien un OGM dès lors que le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement. Et il précise que les États membres peuvent aller au-delà de ce que prévoit la directive OGM et décider de soumettre les organismes obtenus par mutagénèse aux obligations imposées par cette directive ou à des règles purement nationales.
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Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne
Le 25 juillet 2018, la Cour rendait sa décision [6].
En accord avec les conclusions de l’avocat général et de façon encore plus insistante, cet arrêt dit en substance que Les organismes obtenus par mutagenèse constituent des OGM et sont, en principe, soumis aux obligations prévues par la directive sur les OGM et ceci quelque soit la technique de mutagénèse employée pour les produire [7].
Néanmoins, précise le communiqué de presse de la Cour, les organismes obtenus par des techniques de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps sont exemptés de ces obligations, étant entendu que les États membres sont libres de les soumettre, dans le respect du droit de l’Union, aux obligations prévues par la directive ou à d’autres obligations.
En revanche, la Cour diverge des conclusions de son avocat général sur un aspect important aux yeux des requérants. L’arrêt prescrit que la directive sur les OGM s’applique également aux organismes obtenus par des techniques de mutagenèse apparues postérieurement à son adoption. Il s’ensuit en conséquence que les NPBT, toutes, y compris celles qui conduisent à des mutagénèse sans transfert de gène, relèvent, sans exemption des mesures de précaution, d’évaluation des incidences et de traçabilité prévues par la Directive 2001/18/CE. [8]
Enfin la Cour, en cohérence avec la reconnaissance de la qualité d’OGM à tous les organismes obtenus par mutagénèse quelque soit la technique, précise que les États membres sont libres de soumettre de tels organismes [9], aux obligations prévues par la directive sur les OGM ou à d’autres obligations.
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Satisfaction des plaignants et de nombreuses ONGs, relai des médias
Sans attendre même la décision du Conseil d’État qui rendra effective l’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne, les ONGs demanderesses ont accueilli l’arrêt avec satisfaction :

État des lieux européen et international

Le paysage semble donc s’éclaircir par une interprétation extensive, englobante et ouverte de ce qui doit relever de la législation concernant les OGM dans l’Union européenne. Si l’on résume au risque de la caricature.

Résumé simplifié

  • Toutes les techniques de manipulation génétique conduisent à la production d’OGM ;
  • Les mutagénèses (traditionnelles) par utilisation de techniques mutagènes (rayonnements ionisants ou composés chimiques mutagènes notamment) peuvent être exemptées. Mais, elles conduisent cependant à la production d’OGMs. Les États peuvent imposer que les dispositions de la directive leur soit appliquées ou d’autres dispositions éventuellement sous réserve de la compatibilité avec le droit de l’Union.
  • Certaines ONGs demandent dans ce sens que les variétés résistantes à certains herbicides et qui auraient pu être obtenues avec l’aide de mutagénèses traditionnelles se voient appliquées les mesures prévues par la Directive 2001/18/CE. Inf’OGM est explicite [10] en relayant la demande des neufs ONGs requérantes qui appellent l’Union européenne et le gouvernement français à prendre les dispositions qui s’imposent :

    « … à appliquer strictement cette décision, et notamment à :
     suspendre immédiatement la culture des variétés rendues tolérantes aux herbicides par diverses techniques qui ont envahi illégalement nos champs et nos assiettes depuis une quinzaine d’années ; - financer des programmes de recherche afin d’identifier les techniques utilisées ;
     exiger que les obtenteurs rendent publique l’intégralité des techniques utilisées lors de toute inscription au catalogue ».

  • Les mesures de précaution, d’évaluation des incidences et de traçabilité qui sont prévues par la directive européenne 2001/18/CE répondent aux engagements internationaux pris dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique et en particulier de son Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques. A ce titre, elles sont opposables dans le cadre des échanges commerciaux et reconnues par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
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Est-ce pour autant sans ombres ?

  •  Les OGMs obtenus par mutagénèse ciblée sur un gène précis [11] comportent-ils des risques accrus ou différents que ceux obtenus à l’aide de rayonnements ionisants ou de produits chimiques mutagènes qui conduisent à des OGMs comportant de nombreuses mutation en plus de celle recherchée et sélectionnée par les obtenteurs [12] ?
  • À défaut de risques accrus ou différents, les ONGs ont d’excellentes raisons de revendiquer une application généralisée de la Directive 2001/18/CE à tous les OGMs sans utilisation de la possibilité d’exemption prévu à l’article 2 de la dite directive.
  • L’absence de tels résultats scientifiques laisse entrevoir un écart grandissant entre l’état de la connaissance scientifique et celui du droit européen. La directive a été prise en 2001 et sa préparation remonte à de nombreuses années plus tôt, à une époque qui ignorait encore les NPBT. Ne pourrait-elle pas être frappée d’obsolescence ? Une telle interrogation semble en tout cas pouvoir alimenter les revendications évoquées notamment dans l’article de Inf’OGM qui cite La FNSEA :

    « Notre volonté de trouver des solutions reste intacte et si le cadre réglementaire n’y est pas favorable, peut-être est-il temps de le rediscuter ».

    « les agriculteurs ont donc un réel besoin de recherche génétique performante, leur offrant l’accès à des variétés répondant aux conditions pédoclimatiques françaises et européennes, ainsi qu’à leurs difficultés propres en matière de maladies et de ravageurs. Par ailleurs, bien que conscients de l’évolution climatique et la multiplication des aléas ces dernières années, les consommateurs demandent une alimentation de très haute qualité, des modes de productions respectueux de l’environnement et reposant le moins possible sur la chimie ».

  • Ce défaut semble aussi alimenter des réactions négatives au plan international. Washington tacle les règles de l’UE sur les nouveaux OGM en accusant la réglementation européenne (d’être) « régressive et dépassée ». Certes, on connaît l’inspiration libérale des politiques américaines et les échecs et refus de traités internationaux. Mais, l’accord qui pourrait résulter des récentes discussions entre Donald Trump et Jean-Claude Junker pourraient déboucher notamment sur des importations accrues de soja américain.
  • Dans le même temps, les surfaces cultivées avec des OGM augmentent dans le monde [13] et les pays qui s’ouvrent aux cultures d’OGM sont de plus en plus nombreux. On sait que les débats à la FAO sur le sujet restent toujours ouverts.
  • Si les mesures concernant les mouvements transfrontières, le transit, la manipulation et l’utilisation de tout organisme vivant modifié [14] telles que celles de la Directive 2001/18/CE peuvent s’appuyer sur le Protocole de Carthagène face au pressions en faveur des échanges commerciaux internationaux et aux décisions de l’OMC, celles concernant les produits issus d’OGM (mais sans en être ou en comporter) utilisés pour l’alimentation humaine ou animale ne bénéficient pas du même niveau d’accords internationaux. Sur ce plan la législation européenne [15] apparaît beaucoup plus isolé à l’échelle internationale.
  • Sur ce dernier aspect en outre, et comme cela est évoqué dans l’article sur Les OGMs cachés [16], la consommation, que ce soit par des humains ou des animaux, d’aliments issus d’OGM n’a pas d’effet néfaste sur la santé. Dès lors la position européenne paraît fragile. Elle l’est d’autant plus qu’elle reproduit pour les aliments issus d’OGM les mêmes exemptions que pour les OGM eux-même sans justification sanitaire solide.

Interrogations

Au terme de ce trop rapide et provisoire survol, retenons quelques unes parmi les questions qui semblent rester en débat ?

  •  Faut-il ou non appliquer les mesures prévues par la Directive 2001/18/CE à tous les OGM quelques soient les techniques employées [17] ? Et si l’on opte pour le refus d’utiliser les possibilités d’exemption prévues à l’article 2 de la directive, est-il acceptable de limiter ce refus aux seuls OGM résistants à des herbicides ?
  • A l’inverse, est-il éthiquement aisé de soutenir une préférence pour les techniques mutagènes aléatoires, utilisant les rayonnements ionisants et les produits chimiques mutagènes (également cancérigènes) pour des résultats de génie génétique induisant une multitudes de mutations non voulues en plus de celles recherchées dans les plantes ainsi modifiées ?
  •  Les connaissances scientifiques et les développements technologiques accumulés depuis une vingtaines d’années ne justifiraient-ils pas de réviser plus fondamentalement la Directive 2001/18/CE ?
  • Est-il encore pertinent de se fonder sur la méthode d’obtention d’un OGM alors que ce qui compte c’est le produit ? En raisonnant sur le produit, tout ne serait-il pas beaucoup plus clair : il y a risque ou pas de risque (risque pour la santé et pour l’environnement) ?
  • Le lien qui, dans le Règlement (CE) n° 1829/2003 permet aux produits alimentaires contenant des substances issues d’OGM de bénéficier des mêmes exemptions que celles prévues par la Directive 2001/18/CE est-il toujours justifié ?
  • En se fondant sur le produit, et non sur la méthode d’obtention, n’éviterait-on pas en outre un risque de concurrence déloyale de produits alimentaires contenant des substances issus d’OGM et provenant hors de l’Union européenne ?

En conclusion, de nombreux arguments semblent plaider pour alimenter un débat sur une révision des fondements et des orientations de la législation européenne. Et ce débat pourrait bien se retrouver parmi ceux qu’il faudra trancher après les prochaines élections européennes au printemps 2019.
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Notes et commentaires

Merci à André GALLAIS d’avoir bien voulu relire le projet d’article et proposer quelques corrections.


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[1Voir en particulier : Qu’est-ce que les NPBT ?

[2Pour plus de précisions sur ces techniques, voir : Qu’est-ce que les NPBT ? et plus largement tout l’article déjà mentionné

[4Voir notamment sur Wikipédia le Renvoi préjudiciel

[7Cette explicitation ressort des points 30 à 38 de l’arrêt

[8Les éléments de la décision de la Cour sur cet aspect sont particulièrement intéressants à examiner : points 39 à 54

[9Dans le respect du droit de l’Union (en particulier des règles relatives à la libre circulation des marchandises)

[10Voire l’article d’Inf’OGM réactions très contrastées déjà mentionné plus haut.

[11Utilisation d’une NPBT

[12Les généticiens répondent par la négative sur le fondement de la maîtrise de modifications (souvent la perte d’une ou deux bases), donc avec des modifications bien moindres (ce qui est prouvé) que celles induites par les mutagénèses aléatoires (radiations ionisantes et EMS), qui elles sont acceptées. Il semble cependant qu’il n’y ait pas eu d’études expérimentales destinées à répondre directement à cette question.

[13Selon les données publiées le 7 février 2018 par l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications), les cultures OGM représentent désormais 160 millions d’hectares (à peu près la surface agricole de l’Union européenne), cultivées par 16,7 millions d’agriculteurs dans 29 pays. Le taux de croissance se révèle plus fort dans les 19 pays du Sud (11%- contre 5% dans les 10 pays industrialisés). Si les Etats-Unis restent en tête des producteurs d’OGM, le Brésil est désormais le « moteur » du développement des OGM avec une augmentation de 20% des surfaces en un an et devient un leader de la recherche publique et privée. Avec l’Argentine, la Chine et l’Afrique du Sud, ces quatre pays émergeants représentent 40% de la population mondiale.

[14Organisme vivant modifié est la terminologie du Protocole de Carthagène pour désigner les OGM

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