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Bien commun

dimanche 1er février 2015, par André-Jean

Le Bien commun, une notion intuitive, chacun peut en avoir une perception immédiate.
Et pourtant est-elle si facile à définir ? L’adjectif « commun » est très polysémique, sans même compter son substantif ! Quand au mot « bien », adjectif, adverbe et nom, l’ajout du qualificatif « commun » ne suffit pas à l’inscrire dans un sens unique. Parle-t-on de la valeur morale opposée au mal, de l’intérêt qui peut transcender l’individu et devenir général, de la production ou de la disponibilité de richesses ? Le panorama s’élargit. Le pluriel matérialise le sens, envahi alors par l’économie. Vaste carrefour, il ouvre vers plusieurs voies exploratoires. Simple esquisse proposée au débat ...

Un fil historique

La réflexion sur l’extension plus ou moins large à donner à la communauté des biens pour construire ou pour maintenir la cité remonte au moins jusqu’à Platon et Aristote dans l’une de leurs polémiques qui ont traversé les siècles.
Les romains, juristes, séparent les personnes des choses. Et ces choses sont réparties en catégories et attribuées : les choses sacrées aux dieux, les choses publiques à l’État ou à la cité, les choses privées aux individus. La mer, le ciel, l’eau de la rivière, le gibier, sont des choses communes. Le classement juridique précisera plus tard que : la chose publique (res publica) qui appartient à tous et ne peut appartenir à personne en particulier est la chose commune (res communis), tandis que la chose qui n’appartient à personne mais pourrait appartenir à quelqu’un, est la chose de personne (res nullius).
La polémique ouverte entre l’idéalisme platonicien et le réalisme aristotélicien ressurgit avec les commentaires d’Albert le Grand et surtout Thomas d’Aquin. Ces deux penseurs de la première Renaissance discernent deux significations du bien commun, l’une portée sur la perfection morale, l’autre sur la sécurité matérielle, la première étant supérieure à la seconde.
Ce premier débat reste-t-il actuel ? Se pourrait-il qu’il imprègne encore celui qui voit, par exemple, les écologistes ferrailler avec les scientistes ?

Vers l’intérêt général

Se pourrait-il aussi qu’à la Renaissance et avec Les Lumières, cette double signification et la supériorité attribuée à la signification morale aient contribué à nourrir l’émergence, lente et laborieuse, mais irrésistible jusqu’à la modernité, de la notion d’Intérêt général ? Considéré jusqu’alors comme un ordre « naturel », tourné par essence même vers le bien commun, l’ordre social et politique va se trouver désormais passé au crible de la Raison. Le pouvoir n’est plus assuré d’une légitimité de principe, fondée sur les lois de la nature et jouant du privilège de la transcendance. Il est tenu de s’assurer de l’adhésion des citoyens, en établissant rationnellement sa nécessité et son bien-fondé. Or la notion d’intérêt général se présente comme un principe fondamental de légitimation du pouvoir dans les sociétés modernes : tout pouvoir quel qu’il soit est en effet tenu d’apparaître comme porteur d’un intérêt qui dépasse et transcende les intérêts particuliers des membres ; cette représentation permet d’ancrer la croyance dans son bien-fondé et de créer le consensus indispensable à son exercice. Se pourrait-il alors que la défiance envers toutes nos institutions et leur perte de légitimité, révélées sondage après sondage, aient à voir avec la restriction du champ de l’intérêt général ?

Quantification de l’utilité sociale

Et ne pourrait-on pas voir dans la restriction de ce champ de l’intérêt général, la conséquence de ce qui pourrait ressembler à une captation de son administration par le mode économique ? L’utilitarisme émerge au XVIIIe siècle et s’épanouit au XIXe et XXe siècles. Le plus grand bonheur du plus grand nombre peut s’approcher à partir des seules motivations élémentaires de la nature humaine : son penchant « naturel » à rechercher le bonheur, c’est-à-dire un maximum de plaisir et un minimum de souffrance. Ainsi, le principe éthique du bien commun, devenant utilité sociale, devient dans le même mouvement, constatable et démontrable.
L’utilitarisme prétend régler des problèmes sociaux anciens : Quels principes guident les comportements des individus ? Quelles sont les tâches du gouvernement ? Comment les intérêts individuels peuvent-ils être conciliés entre eux ? Comment les intérêts individuels s’accordent-ils avec ceux de la communauté ? Dès lors on voit mieux la portée qu’acquiert La quête du bonheur dans la Révolution, la Déclaration d’indépendance et la Constitution américaines.
Si le bien commun, interprété par la voie de l’utilité sociale est constatable et démontrable, il devient mesurable. Le rationalisme peut avancer d’un pas supplémentaire avec un outil qui acquiert une remarquable efficacité et une redoutable puissance : la science économique. Et ainsi, Jean TIROLE, prix Nobel d’économie 2014 peut-il affirmer : « La première mission des économistes est d’essayer de rendre le monde meilleur. »
La position est solide car la détermination d’un intérêt général qui ne serait pas l’agrégation des intérêts individuels ne supposerait-elle pas une source transcendante du bien commun ? Et, faisant appel au vote démocratique, comment se sortir du paradoxe de Condorcet ?

Les biens communs

Le débat serait-il clôt pour autant, au moins pour les rationalistes ? C’est loin d’être acquis, même pour eux ! Car la théorie économique, notamment dans la version canonique de l’économie néolibéral souffre d’un défaut parallèle à celui du paradoxe de Condorcet. La possibilité d’une maximisation de l’utilité sociale, agrégat des utilités individuelles, impose des propriétés largement contradictoires. Si cette observation n’affaiblit pas l’efficacité des méthodes économiques, elle en réduit cependant la portée et la prétention.
Il n’est pas sans intérêt, pour notre question, de s’arrêter un moment sur les arguments déployés par certains économistes néolibéraux.
L’utilitarisme et son besoin d’une émergence spontanée de l’utilité sociale à partir des utilités individuelles s’est traduite notamment dans la prééminence de la main invisible du marché. Or pour maintenir l’illusion des bonnes propriétés évoquées plus haut, il faut s’appuyer sur des situations où la concurrence s’exerce entre le plus grand nombre possible d’acteurs (entreprises productrices et vendeuses, acheteurs consommateurs). Ceci permet de comprendre l’attachement parfois dogmatique de puissantes institutions, comme par exemple la Commission européenne, à la promotion de la concurrence. Ceci permet aussi de retrouver un autre héritage : la gestion collective des biens communs. Le droit des communs est resté longtemps ignoré. Il s’agit essentiellement d’un droit coutumier qui remonterait au moins à l’Egypte ancienne et à l’empire romain et présent dans toute l’Europe du Moyen Âge. Il a été violemment combattu avec les lois sur l’enclosure en Angleterre au profit du développement de la propriété privée. Combat qui a reçu la justification théorique ultérieure d’un écologue américain influent, Garrett HARDIN, en 1968 avec son article The Tragedy of the Commons.
Il n’aura pas fallu moins que la sévère crise économique mondiale de 2008, pour que le doute s’insinue. Les travaux de toute une vie et de nombreuses équipes ont pu ainsi être reconnus par le prix Nobel d’économie attribué en 2009 à Elinor OSTROM. Ils mettent en lumière la façon dont des communautés dans le monde entier s’organisent pour gérer durablement des ressources naturelles, en opposition avec les travaux de Garrett Hardin. Ces travaux ont-ils pour autant trouvé une adaptations aux affaires du monde au-delà des petites communautés, quelques dizaines de milliers de personnes au maximum, sur lesquels ils ont porté ?

Et à présent ?

Sollicitées pour faciliter la négociation sur le climat, les propositions des travaux d’Elinor OSTROM ont-elles déplacé les lignes ? Malheureusement on peut en douter !
Le bien commun n’a-t-il pas à voir avec la vie bonne des philosophes ? Bien et Bon sont de la même étymologie. Réjouissons-nous que les débats sur le Bien commun et sur les Biens communs soient revenus d’actualité. Quel est-il ? Quels sont-ils ? Comment les préserver ? Comment les construire et ainsi faire société ? Quels outils mettre à leur service ? Quelles régulations pour en favoriser l’accès (et l’on peut alors retrouver Jean TIROLE) ? Ces questions n’appellent-elles pas des échanges ?

Messages

  • Complément à ton intéressante analyse :
    il y a des biens communs qui deviennent marchands lorsqu’ils se raréfient, par exemple l’eau.
    D’autre part, les conséquences des traités de Maastricht-Lisbonne et le futur catastrophique TAFTA sont que les opérateurs des biens communs (les Etats et les collectivités) sont mis en difficulté par les entreprises et les banques (évasion fiscale dans les "paradis", plus de maîtrise de la monnaie). Il en résulte une difficulté croissante à financer les biens communs. Cette dégradation est visible aux Etats Unis, voir le commentaire de Daniel Atlan http://www.2100.org/videos/2510/industrie-notre-avenir/ et évidemment aussi en Europe.

    Voir en ligne : http://gaudin.org

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